Manager par l’orientation clients plutôt que par le contrôle de l’exécution

Manager par l’orientation clients plutôt que par le contrôle de l’exécution

La rupture du lean est de manager par l’orientation client plutôt que par le contrôle de l’exécution des décisions. Les managers pensent qu’il est naturel, juste et bon de manager : prendre des décisions et contrôler leur exécution. Ce mode de management peut apparaître performant en croissance rapide car il permet de mettre en ligne des ressources rapidement là où il le faut. Il est par contre extrêmement coûteux car les managers sont rarement omniscients, les décisions sont difficiles à aligner et personne n’apprécie être traité comme un simple exécutant.

A force de décisions arbitraires et d’obsession de contrôle, on se retrouve avec les entreprises qu’on connaît bien, pilotées par les lubies de leurs chefs, avec des coûts structuraux de complexité et de rigidité qui plombent leur compétitivité et la grogne permanente de salariés désengagés et frustrés par l’absurdité du système dans lequel on leur demande de « performer. »

Manager par l’orientation client est un pivot radical. Le rôle du manager est d’accompagner chaque personne en discutant en continu de deux questions simples mais difficiles :

  • Que souhaite ton client immédiat et en quoi cela satisfera le client final ?
  • Que doit-on changer à notre façon actuelle de procéder pour les satisfaire ?

Le gain en performance est spectaculaire car ce changement d’attitude éloigne l’entreprise de la bureaucratie soviétique et la transforme en un tissu de PME internes réactives, d’équipes autonomes qui se bougent pour leurs clients. Et puis c’est plus sympa : ce mode de fonctionnement encourage la collaboration et créée un espace d’initiative pour chacun.

En se posant directement la question de ce que veut réellement le client – il le dit souvent assez fort, mais on est tellement occupés par le processus interne qu’on ne l’écoute pas – et ce qu’on sait faire, on bute immédiatement sur deux problèmes concrets. Primo, bien souvent on ne sait simplement pas faire ce qu’il demande. Deuzio, même si on savait faire, les processus internes nous l’interdisent.

L’encadrement se trouve alors confronté à deux problèmes concrets :

  • Comment développer la compétence de chacun pendant le courant quotidien du travail ?
  • Comment développer des systèmes qui soutiennent les gens plutôt que de leur rendre la vie encore plus difficile ?

Les outils du lean ont été conçus pour répondre à ces deux questions : ce sont des outils d’orientation et de formation. Par exemple :

  • Le kanban a été inventé pour traduire la demande exacte des clients pour chaque équipe dans l’entreprise. En suivant les cartes kanban, qui correspondent à une demande précise, on se cale sur ce que le client consomme réellement et on peut contrôler la qualité à chaque livraison.
  • Le 5S a été imaginé pour donner aux équipes l’autonomie de leurs zones de travail de manière à organiser leur espace de façon à se faciliter le travail – à leur manière. L’appropriation des espaces de travail permet aux équipes de mieux comprendre leurs outils de travail et d’approfondir leur travail en équipe.

Ces outils ne résolvent rien en tant que tel. Ils visualisent des problèmes sur lesquels l’équipe peut se pencher, et avec l’aide d’un coach, apprendre à les résoudre en développement sa compréhension de fond de son métier.

C’est bien ce mode d’éducation permanent qui rend les entreprises lean aussi performantes. Un rapport du conseil national de productivité met l’accent sur le fait que la compétitivité française est plombée par :

  • « Les compétences des adultes sont inférieures à la moyenne des pays participant aux enquêtes de l’OCDE, avec une déqualification au fil de la vie active, notamment par manque de formation continue et en particulier chez les salariés les plus précaires. La France souffre également d’un retard en matière de compétences « comportementales » (soft skills). «
  • « De plus, la France présente une inadéquation marquée entre les compétences des salariés et celles requises par les postes qu’ils occupent. Les enquêtes sur la qualité du management et des pratiques organisationnelles au sein des entreprises révèlent en outre un score moyen de la France dans ce domaine. Le World Management Survey suggère notamment que les entreprises françaises sont moins performantes sur les aspects « humains » du management plutôt que sur les techniques de production. » [1]

Le lean est un système d’éducation interne tourné vers l’orientation client et l’amélioration des performances opérationnelles par la réflexion, l’apprentissage et l’initiative. C’est précisément ce dont nos entreprises ont besoin, si seulement leurs dirigeants se donnaient la peine de s’intéresser au sujet.

Ceux qui le font, et qui en constatent les résultats spectaculaires, découvrent d’ailleurs en pratiquant le lean une vérité évidente à posteriori, mais surprenante quand on y est confronté : ce sont les équipes qui font le résultat, pas les systèmes ou les organisations. En orientant les équipes vers les clients, on se retrouve à résoudre les problèmes de l’équipe avant de se plonger dans le problème lui-même. C’est l’équipe qui résoudra le problème.

Le changement radical du lean pour un manager est somme toute assez simple. Il suffit de faire une pause avant de se jeter sur chaque événement pour en formuler une théorie géniale, pondre une solution brillante et la faire exécuter aux équipes quoi qu’elles en disent (c’est normal que les équipes rechignent, non ? La résistance au changement on connaît bien !).  A contrario, il s’agit de demander à chacun de mieux écouter les clients pour comprendre ce que eux-mêmes cherchent à faire pour leurs propres clients, puis de s’attacher à former et faire fonctionner l’équipe pour qu’elle résolve les problèmes. Rien de bien sorcier, et la boîte à outils du lean est là pour nous aider à le faire. Mais il faut commencer par le vouloir. Puis le comprendre : résoudre les problèmes de l’équipe pour lui faire résoudre le problème des clients.

[1] Productivité et compétitivité : où en est la France dans la zone euro, premier rapport du conseil national de compétitivité, avril 2019.

 

Michael Ballé.

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