La recette pour un saut quantique en performance, telle qu’elle circule dans nombre de Directions, est la suivante : faire écrire des standards détaillés, organiser un programme de formation d’une ou deux journées pour faire passer tout le monde à la moulinette, demander à chacun un projet d’amélioration pour appliquer les nouveaux standards, définir une batterie d’indicateurs pour contrôler l’application et embaucher une armée de consultants pour rééduquer les récalcitrants. Voilà le plan.
Nous avons vu cette mode commencer dans l’automobile il y a 25 ans, mais maintenant cette façon de faire s’est diffusée à toutes les entreprises et tous les secteurs – et les résultats sont toujours, toujours, les mêmes. Après une période d’activité intense dans les phases de déploiement et des gains initiaux dus à quelques erreurs corrigées ci et là, les résultats se dégradent. Le middle management, dont les objectifs sont calés sur la réussite du programme, comprend qu’il faut montrer des villages Potemkine pour rassurer les grands chefs (l’idée de génie du ministre russe Grigori Potemkine d’ériger des façades luxueuses pour cacher la misère des villages à l’impératrice Catherine II – à moins que ce n’ait été une calomnie de son pire ennemi pour le discréditer), et des indicateurs pastèque (vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur) pour être tranquille. Les gens qui font le vrai travail, eux, n’en sont que plus démotivés et découragés – et passent leurs nerfs et leur déprime sur leurs collègues et leurs clients. En troisième phase le programme est mollement abandonné, histoire de ne pas se dédire, et les chefs se lancent à la recherche de la prochaine bonne idée pour avoir quelque chose à raconter au patron qui leur demande des résultats : 4.0, équipes autonomes, entreprise libérée, on a de quoi faire ! Si seulement on pouvait enfin remplacer tous les employés par des AI et des robots qui se laisseraient reprogrammer à volonté sans états d’âmes !
Il existe bien sûr une autre théorie de l’engagement. Plutôt que d’essayer de reprogrammer les gens, on cherche les plus passionnés et les plus consciencieux. On explore avec eux les problèmes type de l’activité et on partage une théorie de ce qui fait marcher le business. En partageant cet idéal par la ligne de management, on peut encourager toutes les équipes à soulever les problèmes qu’elles rencontrent et expliquer les solutions locales qu’elles ont mis en œuvre. En visitant systématiquement les équipes sur leur terrain on peut apprendre à 1/ mieux comprendre la réalité des problèmes-type, dans toutes leurs facettes concrètes en contexte et 2/ s’inspirer des solutions trouvées pour 3/ demander aux responsables de systèmes fonctionnels d’améliorer le service interne rendu aux employés pour que ceux-ci fassent leur job plus facilement et avec plus de plaisir. Le digital permet ensuite de partager les suggestions et les améliorations de systèmes au sein de l’entreprise pour encourager la véritable source de productivité humaine : le flux d’idées dans l’entreprise.
Nombreux managers font carrière dans les grandes entreprises sur la base d’une idée qu’ils ont imposé à répétition – un marteau qui cherche des clous. Le lean les dérange car il s’agit d’une méthode qui non seulement cherche les problèmes mais en plus demande de créer un consensus sur les problèmes avant de se battre sur telle ou telle solution. Trop souvent, les décisions sont prises sur la base de la force du storytelling : voici la solution, quels que soient les obstacles, je les surmonterai sans me laisser dérouter, et vous verrez bien ce que vous allez voir ! Pour cesser ces cycles infinis de programmes qui détruisent de la valeur et de la confiance passe après passe, il faut commencer par s’intéresser aux problèmes et accepter d’avoir des idéaux qui nous guident dans la nuit – comme zéro accidents, zéro retours qualité, 100 % de valeur ajoutée, toutes les activités effectuées une par une – même si on ne voit vraiment pas dans l’instant comment y parvenir.
En animant les leaders locaux sur des idéaux communs, comme celui de convaincre chaque client à chaque fois, et en travaillant avec eux les problèmes-types qui nous empêchent de le faire dans chaque activité pour encourager les suggestions et l’autonomie dans la résolution de problème, on crée une énergie positive qui se communique à toutes les équipes et qu’on peut entretenir rien qu’en allant voir, en écoutant et en encourageant les initiatives. Cette théorie lean de l’entreprise ne paraît pas plus compliquée que celle de la reprogrammation par l’application des bonnes pratiques, et pourtant elle semble scandaleuse aux MBAs formés dans les meilleures business schools. Il est pourtant grand temps d’abandonner l’obsession managériale des économies du pouvoir (forcer les gens à appliquer les bonnes pratiques) pour envisager les économies de l’apprentissage et de l’engagement (engager les équipes sur les problèmes types et soutenir leurs initiatives).
Michael Ballé
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Marie-Pierre LEGER
Merci pour cet article. C’est tellement vrai.
Senior consultante j’ai participé à la fin d’un programme de transformation et ma mission était d’identifier et quantifier les gains depuis le début de la transformation !
Norbert Dubost
Je partage complètement le contenu de cet article de Michael Ballé et sa conclusion, à savoir, qu’il est grand temps d’abandonner l’obsession managériale des économies du pouvoir (forcer les gens à appliquer les bonnes pratiques) pour envisager les économies de l’apprentissage et de l’engagement (engager les équipes sur les problèmes types et soutenir leurs initiatives).
Et puisque, la pensée managériale est souvent issue des business schools, nous devrions nous questionner, nous les membres de l’Institut Lean France, sur notre capacité à faire évoluer ces business schools vers la théorie du Management Lean.
Norbert Dubost