“D’anéantir”[1] à “Connemara[2]“, les derniers livres récents que j’ai lus parlent souvent du manque de sens de la vie, de la terreur d’arriver à la vieillesse sans avoir vécu, d’un grand questionnement sur notre positionnement ou nos ambitions. Ils expriment la vision triste de tous ces gens qui préféreraient être ailleurs ou pire encore quelqu’un d’autre. Assez démoralisant en fait.
Et puis, quand je regarde les campagnes politiques de saison (que je trouve un peu pauvres sur les concepts mais totalement décomplexées sur les dépenses puisqu’elles ne sont plus chiffrées, tout le monde ayant assimilé depuis la Covid que l’argent n’était plus le problème), on s’aperçoit que l’on surfe, quel que soit le positionnement, sur d’anciens concepts des années 70 et 80 quand on était encore fier des accomplissements de nos industries.
Ce qui est sûr est que notre société occidentale, excessive en tout, vit le paradoxe d’un accroissement de richesses et d’un lent déclin industriel et technique concomitant avec celui de l’éducation au sens large (savoir-faire et savoir se comporter). Notre mode de vie est toujours supporté par un socle d’infrastructures qui ont été bâties durant les années d’après-guerre. Nous sommes à mon sens en plein dans la théorie de Milton Friedman[3] qui disait il y a maintenant 50 ans : « Il n’y a rien de plus important que l’actionnaire et tout doit être mis en place pour le satisfaire, c’est à dire maximiser les profits » dans un contexte où les bénéfices sont parfois plus issus des produits exceptionnels que de l’exploitation. L’effet en a été frappant durant l’épisode COVID où certaines grandes entreprises ont moins « transformé » en termes de production mais ont fait des bénéfices records. D’une certaine manière, elles ont abandonné une partie de leur métier de base et perdu une partie des gens qui vont avec.
L’éducation et la vision à long terme sont remplacées par la chance et la prochaine cotation et les évaluations ont remplacé la qualité. Il n’est donc pas très étonnant qu’autant de gens le vivent mal.
Et puis, il n’est maintenant plus une année sans l’annonce d’une crise mondiale majeure qui rebat les cartes à chaque fois et bouleverse ce que nous pensions acquis. Après l’Ukraine, quel sera le prochain délire humain ? Le crash de l’internet, la bataille de l’eau ? Malheureusement ce que l’on peut presque déjà affirmer est que la plus grande menace qui nous guette (le réchauffement de la planète) va encore passer au second plan. Et là c’est vraiment grave. Sauf si on s’en occupe hardiment, ce que l’histoire récente montre possible.
Le lean, issu d’une période d’essor industriel a-t-il encore une place de ce système ?
Plus que jamais.
C’est à mon sens la seule stratégie qui permet de vivre sereinement son travail dans un monde chaotique et de continuer à construire les fondamentaux qui soutiennent notre mode de vie et celui de nos clients.
L’industrie, et en particulier la PME est à la fois le cœur, le cerveau, le système nerveux et les muscles d’une économie. C’est le dernier endroit qui rassemble des métiers différents, qui intègre la France dans son ensemble et où l’ascenseur social fonctionne encore. Que l’on soit clair, il n’y a pas de grande nation ou de société éveillée sans une industrie puissante et localisée sur son sol. C’est encore un des derniers endroits où ce que l’on fait a du sens car on est très vite confronté aux conséquences de ses actions. L’industrie c’est l’endroit qui peut encore conjuguer le temps court et le temps long. Bref, l’industrie est ce qui fait la différence. Et c’est aussi un enjeu de souveraineté nationale, concept un peu oublié mais qui reprend une partie de son sens aujourd’hui.
Dans les 25 dernières années, on peut dire que l’on a connu des crises mais celles du moment sont d’une nouvelle race. Dans ces situations pleines d’opportunités, le lean est un chemin clair pour reprendre un leadership industriel. Et le reprendre en France.
Quand une grande partie des salariés se demandent ce qu’ils font là, quand le big quit vous guette, quand on oscille entre burn out et bore out, ou quand son CV commence à ressembler à la carte pléthorique des restaurants bas de gamme où on comprend en un clin d’œil que rien n’est cuisiné, que tout est décongelé, il est effectivement temps de réfléchir vraiment au travail bien fait. Une réponse est la voie du lean en industrie.
A la différence de bien d’autres, la stratégie lean est faite de concepts très simples et consiste à former et reformer nos techniciens et opérateurs car si la technologie augmente, la maitrise technique chute. C’est le syndrome de Flamanville. Une ingénierie de haut vol émasculée parce qu’on ne sait plus faire une soudure.
On ne construit haut que sur des fondations solides
Pour un industriel, l’éducation technique est notre premier avantage concurrentiel et c’est un des devoirs du chef d’entreprise de s’en préoccuper. Cela constitue la base de la qualité et une des tâches les plus complexes car peu de gens sont encore habitués à apprendre. C’est le premier pilier du lean.
Cette stratégie consiste également à faire coopérer les acteurs de l’entreprise de ses fournisseurs et de ses clients entre eux, au travers notamment du Job Relations[4] ce qui permet de créer les conditions pour mettre en place le juste à temps qui est la condition indispensable pour produire au juste besoin, en minimisant les gaspillages et en sécurisant les supply chain. C’est le deuxième pilier du lean.
Éducation et coopération sont les fondamentaux d’un travail qui a du sens et de l’avenir
Si cela ne fait aucun doute, il est une obligation encore plus cruciale qui est de le faire en consommant et en rejetant moins. En un mot sans gaspillage. Et pour le faire notre chemin devra sans cesse choisir entre héritage et legacy. L’héritage sont les techniques qui marchent mais que l’on veut changer par souci de modernité. Tant qu’on les conserve, elles restent à l’actif de la société.
Le legacy, ce sont ces habitudes ancrées que l’on refuse de changer par confort mais qui vont nous finir par nous tuer. C’est le passif futur de l’entreprise.
Les choix ne sont pas simples. La stratégie lean est sans cesse guidée par ces choix. Toyota gagne parce qu’il conserve l’héritage du kanban, Kodak est mort du legacy de la pellicule.
Exemple : la voiture diesel est-elle un héritage ou un legacy?
Le lean nous pousse à conserver l’héritage de la formation technique. Alliance-MiM vit des moments extraordinaires car nous savons encore ce qu’est un alliage, une microstructure, un jeu fonctionnel, un copeau minimum ou une viscosité. Et notre croissance s’accélère grâce aux sociétés clientes qui ont compris que pour certains produits, les techniques par enlèvement de matière peuvent être un legacy.
Le lean, par la pratique du kaizen, par l’utilisation du PDCA, sait parfaitement trouver l’équilibre entre l’héritage et l’innovation, entre coût et qualité, entre la demande du client et ses besoins réels, entre les moyens mis en œuvre et ses conséquences sur l’environnement. Et par efficacité, le lean fuit les hypersolutions.
Entreprendre une démarche lean, c’est aborder de manière sérieuse les enjeux du moment. Ce qui donne du sens (direction et compréhension) à notre vie professionnelle. Si on le veut bien, cela marche. Aujourd’hui et demain.
“La vie est un bien perdu
Pour celui qui ne l’a pas vécue
Comme il aurait voulu …”
Mihail Eminescu[5]
Jean-Claude Bihr, président-directeur général de l’entreprise Alliance MIM
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[1] de Michel Houellebecq
[2] de Nicolas Mathieu
[3] Milton Friedman est un économiste américain ardent défenseur du libéralisme. Il est à l’origine du courant monétariste et le fondateur de l’École de Chicago
[4] Un des modules de formation du TWI (Training within Industry) pour former les responsables d’équipe au management de chaque personne de leur équipe
[5] Mihail Eminovici est un poète roumain du 19e siècle
Nicolas Stampf
Et le climat n’est que le prochain gros problème qui va nous tomber sur le coin de la figure (ou de l’industrie). On doit aussi penser à la raréfaction des ressources abiotiques (énergie, mais aussi tout le reste servant aux l’industries), aux migrations issues des problèmes climatiques, économiques, politiques qui vont faire affluer de la main d’oeuvre “différemment qualifiée” par chez nous.
Ici aussi, le Lean est primordial : Lean & Green, ou Lean & Social : ça reste dans tous les cas du Lean : faire mieux avec moins et dans des conditions adverses.