Il y a, de fait, depuis 30 ans, deux interprétations opposées de ce mode de management made in Toyota. Et, quelque part, c’est un peu normal ! Nos interprétations d’un phénomène, quel qu’il soit, sont différentes car elles dépendent de nos sens, de nos grilles d’analyse, construites en grande partie par nos expériences, de nos propres visions du mode, c’est à dire de nos propres modèles mentaux.
D’une part, il y a ceux qui ont assimilé les outils du lean comme le moyen parfait d’augmenter l’efficacité du système taylorien. Améliorer encore la répartition du travail entre ceux qui décident et ceux qui exécutent. Parler de performance intrinsèque du système en oubliant l’apport humain, voire en l’excluant. Les mêmes parlent d’excellence opérationnelle et construisent des roadmaps pour atteindre leurs buts. On voit aussi cette interprétation à l’œuvre chez tous ceux qui vous proposent de changer les processus, voire l’organisation du travail, pour atteindre LA performance. Les outils du Lean sont pour eux un levier puissant car ils sont effectivement très efficaces. Ils rendent les erreurs plus visibles, ce qui, dans un univers qui n’investit pas sur l’humain, permet le blâme ou la sanction. Comme tous les outils, tout dépend de l’intention que l’on met dans leur usage !.
D’un autre côté, il y en a, peu nombreux, qui ont cherché à comprendre ce qui faisait la réussite, depuis 70 ans, du Toyota Production System. Non que Toyota ne rencontrât pas, comme tout le monde, des problèmes, et même des crises, mais l’entreprise a développé et nourri un savoir-faire et un savoir-être pour toujours les surmonter et rebondir plus loin.
Il a d’abord fallu passer au-delà de la traduction littérale pour comprendre que Toyota parle du produit, et donc des clients, quand ils évoquent la production : comment apporter aux clients, tout au long de leur vie, les meilleurs produits, la meilleure valeur ? Et il y a effectivement un secret difficile à découvrir de prime abord : pour faire de bons produits, il faut d’abord développer les personnes, en compétence mais aussi sur l’envie d’explorer et de collaborer !
Le seul système de management qui repose sur les humains est bien ici !
Certains objectent que les cadences sont infernales chez Toyota. Quand vous observez comment un pianiste de concert de renommée mondiale joue de son instrument, vous ne vous demandez pas comment il jouait quand il a commencé à apprendre. Le résultat de cet immense travail tout long de la vie, ce sont des mains et des doigts que vous avez parfois du mal à voir glisser sur le clavier alors que la musique vous enchante. Ce que certains appellent des cadences infernales est le résultat de ce travail permanent, quotidien, pour se développer, apprendre tous les jours les meilleurs gestes, les plus efficaces, qui apportent la valeur attendue par les clients.
Combien de fois ai-je été scandalisé par ces ouvrières – les ouvriers licenciés sont souvent des femmes – qui, après la fermeture de leur usine, se retrouvaient en perte totale de confiance en soi, après des dizaines d’années à répéter le même travail d’exécution en silence. Apprendre à faire évoluer son geste vers plus de facilité et de sécurité est aussi un moyen de construire l’autonomie, la fierté au travail et la confiance dans sa propre capacité à apprendre et à faire autre chose. C’est cela que le management lean nous apprend à faire au fil des jours et qui est profondément différent du management classique.
La force du TPS, ce sont les standards de travail que les salariés construisent eux-mêmes pour relever les défis que se donne l’entreprise, afin de garder et développer ses clients. C’est le kaizen, ces petites améliorations quotidiennes qui facilitent leur travail et permettent de mieux en comprendre tous les aspects, kaizen qui ouvre aussi les voies de nombre d’innovations. Tous ces gestes aident chacun à construire davantage d’autonomie dans son travail et à développer des compétences, une dynamique qui vient renforcer la confiance en soi y compris dans de nouvelles situations professionnelles.
On entend de plus en plus de personnes se déclarant démotivées par l’idée de travailler. Mais que leur apportons-nous le plus souvent ? De la reconnaissance ? De l’épanouissement ? Ce ne sont pas les baby-foot dans les salles de repos qui vont apporter cela en profondeur.
C’est avant tout le respect que l’on doit apporter aux gens, en leur donnant la possibilité de se développer pour que leur entreprise réussisse. Mais bien sûr, ce n’est pas facile, et nombre de tentatives échouent. Tous les records ne peuvent pas être battus tous les jours !! Une chose est sûre, plus on retarde les premières initiatives pour travailler dans ce sens, plus on recule les chances de réussite !
Richard Kaminski
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JUBERT Pascal
Bonjour
La comparaison entre un ouvrier et un pianiste virtuose de renommée mondiale me paraît quelque peu hasardeuse voire complétement décalée pour expliquer les rythmes de travail intensif. Et ceci pour 2 raisons principales :
Je ne suis pas sûr :
– que l’ouvrier ait vraiment choisi son métier et que cela soit une passion pour lui
– qu’il soit applaudi par la foule à chaque fin de son travail
– qu’il soit demandé aux 4 coins du Monde
– qu’il ait le même niveau de rémunération que le pianiste
Il y a donc encore pas mal de pédagogie à faire…même pour celles et ceux parlent du Lean tous les jours.
Pascal JUBERT
Le Lean à visage humain
Florence Préault
Richard Kaminski, l’auteur vous répond : “La comparaison n’est pas entre un pianiste et un ouvrier, ce serait effectivement peu pertinent. Il s’agit de montrer que dans les deux cas, la performance est le résultat d’’un véritable Travail. On sait que le travail du pianiste est permanent de « 7 à 77 ans ».
D’un autre coté, dans les entreprises l’absence de formation permanente sur les postes de travail, l’absence de kaizen quotidien pour améliorer les standards et donc rendre le travail plus simple, donc plus facile, est effectivement la grande différence quand on va voir les gens travailler chez Toyota.
La compétence qui aurait été acquise dans ces domaines par les ouvriers/ouvrières est un énorme facteur de confiance et d’employabilité.”
CHRISTIAN SCHAEFFER
Je pense que la comparaison est tout a fait possible dans le sens suivant:
Un virtuose est un musicien qui s’est amélioré au fil des jours, en découvrant de nouvelles méthodes , de nouvelles techniques, en pratiquant encore et encore, en apprenant sous la conduite d’un maître qui l’a guidé avec pédagogie et “sans force”. Et a la fin, si une fin existe, il a trouvé un jeu parfait, avec son doigté répétitif, peut être, mais qu’il a perfectionné pour atteindre la performance et le résultat musical qu’il souhaitait.
Pour l’opérateur c’est aussi le travail et son environnement qu’il va améliorer de jour en jour pour se trouver dans une situation qui lui conviendra au mieux en terme de condition de travail, de qualité et de performance globale. Et la encore une aide externe pourra le guider dans sa réflexion et dans son analyse sans lui imposer des standards tout fait par des “méthodistes”.
Bien sur si ne peut pas comparer les choses sur d’autres aspects tel que la passion ou la notoriété tel que vous le décrivez, j’ai vu aussi pas mal d’opérateurs passionnés par leur travail, si on sait enrichir celui ci. Et il faut aussi dire que la reconnaissance de chacun est aussi une forme de notoriété (j’ai connu des personnes fières de montrer a leur famille le journal d’entreprise dans lequel ils avaient fait la une !)
Jean-Marie Reilhac
Pour avoir eu l’occasion de comparer et vivre les 2 approches du Lean dans un groupe américain et chez Toyota, je confirme ces 2 interprétions.
C’est effectivement le TPS basé sur les 14 fondamentaux du Toyota Way, dont l’origine remonte à la relation entre Ei Toyoda et son fils Sakichi, qui s’impose en plaçant l’humain au cœur de la démarche et non pas les outils qualifiés de Lean tels que développés par Womack et Jones.
Aussi pour ne retenir que la bonne interprétation (TPS) , il conviendrait de proscrire le terme Lean et tous les organismes qui en font l’écho.