Comment êtes-vous organisés ?

Comment êtes-vous organisés ?

Cette question, apparemment banale, que posait souvent Freddy Ballé[1] – le pionnier français du Lean- est une clé d’entrée négligée pour expliquer la différence « Lean ».

En effet, l’entreprise lean semble organisée comme une entreprise traditionnelle ; l’organigramme est familier, les niveaux hiérarchiques attendus sont présents.

Pourtant, il y a une différence majeure.

Quand un dirigeant « classique » répond à la question « comment êtes-vous organisés ? » il part souvent du haut de la pyramide et suit le fil hiérarchique, vous donnant au passage le détail des pouvoirs délégués, du mode de contrôle, voire de la fréquence des reportings.

Le dirigeant Lean, lui, va partir d’en bas. Il commence par la personne et l‘équipe qui produisent la valeur achetée par le client : « l’équipe de base est généralement composée de 5 personnes avec un team leader, sans pouvoir hiérarchique : un opérateur expérimenté qui, en plus de produire des pièces, fait appliquer les consignes de sécurité, connaît les standards, repère les anomalies et anime le kaizen ». Il indique aussi que le premier niveau hiérarchique « c’est le superviseur, ou group leader, responsable de cinq équipes de cinq personnes. Son rôle essentiel est de former individuellement les opérateurs dont il a la responsabilité et de s’assurer qu’ils travaillent dans de bonnes conditions.[2]»

Les structures se ressemblent mais les approches sont radicalement différentes.

L’entreprise classique s’organise pour exploiter un marché en mettant en place une structure -et un compte- d’exploitation qui distribue et délimite les pouvoirs, organise les fonctions, répartit les tâches et contrôle leur exécution et leur coût.

L’entreprise lean s’organise pour « assurer » et faire progresser la création de valeur et la satisfaction des clients. Pour ce faire, elle « organise » le développement de chacun et de l’équipe : maîtrise du métier et autonomie, capacité à résoudre les problèmes, à réduire les gaspillages, à s’améliorer au quotidien. C’est cette organisation d’énergies qui construit, augmente et renouvelle la puissance collective, source de la performance inégalée que délivrent les entreprises Lean.

La question de Freddy Ballé révèle cette profonde divergence : le dirigeant classique s’intéresse en priorité à la distribution du pouvoir, le dirigeant lean à la construction de la puissance.

Les deux mots « pouvoir » et « puissance » semblent synonymes mais sont en réalité très différents. Le pouvoir se reçoit (ou se prend). La puissance se construit (et construit). Le pouvoir est une réalité tangible et délimitée, la puissance est une énergie et un potentiel à libérer. Le pouvoir est réservé à quelques-uns, la vraie puissance est plurielle. Le pouvoir décide, découpe et restructure[3], la puissance rassemble, renforce et transforme.

Mais in fine, le pouvoir (du dirigeant) dépend de la puissance (de ses équipes) : sans elle, le roi est nu !

Le « secret » du Lean, c’est de réussir à faire naître, orienter et faire grandir cette puissance créatrice de valeur durable. En libérant d’abord la puissance interne des talents reliés, mais aussi – loin des rapports de force habituels- en partageant la puissance des alliés extérieurs, partenaires de longue date engagés dans la création de valeur commune.

Cette puissance démultipliée au potentiel quasi inépuisable -les dirigeants lean l’ont compris- est une ressource stratégique[4] essentielle : l’intelligence collective en action.

Elle construit des résultats exceptionnels, car son action n’est pas la simple optimisation de process établis. L’action lean est guidée par une façon différente de voir, d’interroger, de partager et de penser la réalité, chacun et ensemble, au plus près des attentes des clients et de la société.

Comment le dirigeant doit-il s’y prendre, pour libérer et développer puissance et performance ?

Il doit d’abord comprendre que si le pouvoir peut imposer et contrôler l’exécution, il ne peut décréter la curiosité, la volonté de s’engager, d’apprendre et de progresser, seules véritables sources d’une performance durable. L’intelligence collective n’est pas une ressource qu’on achète, c’est un flux qu’on libère, une dynamique qu’il faut accompagner.

En revanche, s’il ne peut pas la décréter, il peut mettre au service de la puissance, son pouvoir, sa légitimité et son autorité[5], en créant les conditions d’engagement, de développement et de réussite de chaque personne, de chaque équipe, chaque jour.

Sa légitimité, le dirigeant Lean la tire du terrain, aux côtés des créateurs de valeur, en enracinant et garantissant le respect et la confiance mutuels, prérequis de leur engagement. Il la renforce en ouvrant les conversations, les questions et les dialogues ; en aplanissant les chemins, reliant les silos, sécurisant les apprentissages et les initiatives. Il la pérennise en installant la fameuse « chaîne d’aide » qui met la hiérarchie au service des équipes.

Quant à son autorité, il la construit d’abord en étant auteur de son propre progrès, prémisse indispensable pour « faire autorité » : apprendre à chercher les vrais enjeux, à découvrir les apprentissages et cadrer les bons défis. Il l’exercera ensuite à challenger, orienter, accompagner, en bref « rendre auteurs [6]» ses collaborateurs.

C’est ainsi que se construit la « valeur augmentée » de l’organisation lean : chacun est non seulement un acteur respecté pour le produit ou le service de qualité qu’il délivre au quotidien ; mais aussi un auteur reconnu du futur de l’activité par ses initiatives d’amélioration qui renforcent et renouvellent le sens et l’utilité de l’entreprise au service des clients et de la société.

Et vous, à propos, comment êtes-vous organisés ?

Jacques Chaize

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[1] https://www.institut-lean-france.fr/produit/le-gold-mine-un-recit-lean-enfin-en-francais/

[2] Le management Lean, 3ème édition. Chapitre 3. Michael Ballé & Godefroy Beauvallet. Pearson 2024

[3] Décider : du latin decidere, composé de de et caedere « couper », « trancher »,

[4] La Stratégie Lean. Michael Ballé, Dan Jones, Jacques Chaize, Orry Fiume. Eyrolles 2018

[5] Légitimité, Autorité et TPS : https://leanandlearn.institut-lean-france.fr

[6] Autorité : du latin « auctare=augmenter « auctor= celui qui augmente, qui fait progresser »

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