En ce début d’année 2025, les nuages s’accumulent dans de nombreux secteurs d’activité. On s’oriente vers une période difficile, les ventes stagnent, voire sont orientées à la baisse.
Et comme à chaque retournement de conjoncture, certaines entreprises vont se retrouver en danger par manque de trésorerie : non seulement à cause du recul des ventes et donc des rentrées d’argent, mais aussi – surtout – à cause de l’immobilisation de leur cash disponible dans des stocks excessifs de produits invendus.
Sans les stigmatiser, deux exemples récents :
KTM s’est déclaré en incapacité de faire face à ses créances, plombé par 265 000 motos en stock (1). Dans la même veine, Accell Group, considéré comme n°1 du vélo en Europe, a failli succomber sous le poids de ses 320 000 (!) vélos en stocks. (2)
A chaque fois, les recettes annoncées sont douloureuses – licenciements, délocalisations de la production dans des pays à main d’œuvre moins chère, refinancement par les actionnaires ou lignes de crédits – et hypothèquent l’avenir : prépare-t-on le futur quand on se sépare de ses forces vives, ses savoir-faire, son capital humain ?
Comment peut-on en arriver là ?
Le virus : une fausse vision de l’efficience
De nombreuses entreprises sont persuadées que le chemin du succès passe avant tout par une bonne utilisation des actifs. On a investi dans d’onéreuses machines et équipements, chaque heure de main d’œuvre est coûteuse. Il est donc de bonne gestion de s’assurer que ces ressources soient, à tout moment, pleinement exploitées. Il faut produire, et au rythme le plus rapide possible pour avoir les coûts les plus bas. L’œil est sur la productivité horaire des collaborateurs, le respect des heures allouées, sur le taux de rendement des équipements. La comptabilité traditionnelle nous conforte dans l’idée que tout va bien : les produits en stocks sont valorisés, le résultat est positif, le ROI (retour sur investissement) conforme aux attentes des investisseurs. Réussir le mois signifie atteindre les objectifs de production.
Ce que l’on oublie :
- Tant que les produits ne sont pas vendus, le cash ne rentre pas (essayez de déposer un ROI à la banque). Une usine ne vivra que si elle vend, pas seulement si elle produit.
- Les stocks générés sont porteurs de coûts significatifs, est-il besoin de les lister : entrepôts, moyens de stockage, moyens de manutention, personnel associé, gestion informatique, risque qualité, obsolescence, assurances, financement… On a donc ainsi créé en production des ilots d’efficience locale, perdus dans un océan d’inefficience.
Une maladie qui s’autoalimente : la perte de vision du client
Ces stocks de produits finis génèrent des coûts récurrents importants, immobilisent le cash et fragilisent la trésorerie, mais ils font pire : ils contribuent à la perte de contact avec les clients et le marché.
En effet, la plupart des usines n’ont pas la place – ni l’envie – de stocker ces produits sur site. Il faut alors construire des centres logistiques externes par lesquels transiteront tous les produits sortants. Ceci a des répercussions insidieuses sur la manière dont l’usine va réfléchir à son activité.
- Ce sont les plateformes logistiques qui au quotidien assurent les expéditions, se rendent compte des difficultés éventuelles à satisfaire certaines demandes, voient au contraire les stocks morts. L’usine ne voit plus les clients et ne peut plus s’alerter en cas de variations ou anomalies de la demande.
- L’usine ne voit plus que les camions internes qui partent vers les plateformes. Avec le risque d’avoir là encore un objectif d’efficience locale : l’important est que le camion soit plein. Moins de se préoccuper de si ce que l’on met dedans correspond exactement au besoin.
- Tant que la trésorerie est bonne, personne ne se préoccupe vraiment du niveau des stocks. Pas l’usine, puisque ceux-ci ne sont plus sur site, et dont la mission est de produire et remplir les camions. Pas les plateformes, dont la mission n’est pas de remettre en cause les volumes qu’on leur confie, mais de les gérer au mieux, c’est-à-dire là aussi de faire de l’efficience locale : bien occuper les personnes, réduire les coûts de stockage en densifiant sur les m3 disponibles, réduire les coûts de transports par massification (déplacer de grands volumes à faible fréquence)
Le remède : le juste-à-temps
Pour lutter contre cette maladie potentiellement mortelle, le TPS (Toyota Production System) propose de poursuivre un idéal : ne plus produire pour des stocks à partir de prévisionnels, mais savoir produire uniquement les produits achetés par les clients, dans l’exacte quantité, l’exacte séquence demandée et au moment précis exigé.
Cette vision est quasiment inatteignable, mais s’en approcher suffisamment ouvrirait des perspectives immenses. Imaginez :
- Un stock réduit de produits finis, juste suffisant pour assurer la disponibilité vis-à-vis du client, et pour donner le temps à l’usine de refabriquer les volumes achetés.
- En conséquence, la suppression des plateformes logistiques et l’expédition directe depuis l’usine.
- La possibilité pour l’usine de vérifier plusieurs fois par jour, à chaque départ camion, que le client a bien été satisfait. Et, dans le cas contraire, de rechercher quelle difficulté n’a pas permis de livrer à temps.
- Pour que ceci soit possible, l’usine a été obligée de s’interroger sur comment réduire le temps dont elle a besoin pour mettre à disposition du client un produit à partir du moment où elle reçoit le signal de produire (ce que l’on appelle le lead time de production). Ceci n’est possible qu’en travaillant sa flexibilité (capacité à changer de fabrication sur un moyen et s’approcher de la taille de lot unitaire), sa fiabilité (capacité à réussir chaque étape bonne du premier coup), sa souplesse (capacité à aligner les acteurs sur le rythme client – takt– et s’adapter efficacement en cas de changement, la disponibilité de ses moyens (plus de pannes), la coopération entre tous les acteurs pour enchaîner parfaitement les étapes (flux continu)… Autant de sujets qui vont mettre à contribution et développer l’expertise métier et la réflexion des collaborateurs.
Et au final, atteindre une vraie efficience globale de l’entreprise, une entreprise plus robuste et capable d’affronter sereinement les retournements de conjoncture.
Placer le client et ses besoins au cœur des préoccupations de l’usine, et non la pleine utilisation-exploitation des ressources. Un vaccin à s’inoculer régulièrement !
Christophe Richard
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(1) https://www.caradisiac.com/un-an-de-stock-comment-ktm-va-t-il-gerer-ses-265-000-motos-neuves-produites-pour-rien-213059.htm
(2) « Nous avons désormais 175 000 vélos en stock » : le n°1 du vélo en Europe voit enfin la lumière au bout du tunnel.
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