L’épidémie progresse. Nos proches sont touchés. Impossible d’aller les voir pour leur apporter soutien ou secours. Au travail, les carnets de commande se sont évaporés. Nous sommes pour la plupart confinés, et ceux qui se dévouent pour continuer à faire marcher la machine le font sans les protections adéquates ou moyens pratiques de se faire tester. Malgré le confinement, COVID19 continue de se propager, l’activité économique ne tourne plus qu’à 65 % de ses capacités, les chiffres d’affaires s’effondrent et des millions sont au chômage partiel – n’est-ce pas absurde de se soucier de performance dans de telles circonstances ?
Le lean n’est pas un programme d’optimisation des performances industrielles et de réduction des stocks, contrairement à l’image que la presse s’obstine à lui donner. Le lean est avant tout une démarche de résolution de problèmes et de changement. Le management lean vise à développer une culture de la résolution de problème en encourageant chacun à chercher les problèmes, les confronter, les cadrer correctement afin de co-construire des solutions adaptées et adaptives. Nous résolvons des problèmes pour changer et s’améliorer. En temps de crise nous résolvons des problèmes pour nous adapter et survivre.
La gravité du virus et les réactions paniquées des gouvernements n’ayant pas l’expérience qu’ont acquise les pays asiatiques avec le SARS ont créé une situation complètement imprévisible. L’épidémie va-t-elle être jugulée par le confinement ou revenir par vagues ? L’économie va-t-elle se remettre dès le confinement terminé ou déraper dans une récession de type 1929 ? Nous n’en savons rien. Dans ce brouillard de la guerre, pour reprendre une expression martiale, le lean nous propose des points de repères fixes : les évènements sont catastrophiques, mais les fondamentaux restent les mêmes : 1/ les employés ont besoin de travailler en sécurité, 2/ les clients ont besoin d’être aidés, 3/ les chaînes logistiques ont besoin d’être sécurisées et 4/ l’autonomie des équipes a besoin d’être soutenue.
Tant que ni cure ni vaccin ne sont accessibles à tous, nous allons devoir apprendre à vivre avec COVID19 – l’idée n’est guère plaisante, mais il faut s’y faire – et vite (la lenteur de nos états à l’accepter nous aura coûté, au final, très cher). La question que pose le lean est comment faire travailler tout le personnel en sécurité dans de telles circonstances. Ni le confinement à outrance, ni le télétravail ne sont des solutions durables. Au final, nous devons apprendre à vivre dans un autre ordre de grandeur d’hygiène : plus de lavage des mains, désinfection des surfaces, plus de protections, plus de compréhension des points réels de contamination. La première question que pose un raisonnement lean est : quelles sont les pratiques hygiéniques qu’il faut radicalement changer pour sécuriser les espaces de travail ?
Les clients n’ont pas disparu – ils restent notre mission première et ils se débattent eux aussi avec les impossibilités de cette crise. Comment les aider ? Le lean nous apprend à regarder les problèmes que nous résolvons pour les clients et nous pose les questions de savoir si on résout leur problème complètement, quand ils le souhaitent, sans leur faire perdre leur temps, avec sympathie et en étant de bon conseil. En se focalisant sur les problèmes nouveaux que vont rencontrer nos clients dans cette période de crise, il est possible d’identifier rapidement de nouvelles façons de les soutenir et de les aider à surmonter la crise.
Au final, le confinement généralisé nous a été imposé parce qu’on n’a pas su s’approvisionner assez vite en tests, en masques, en gels hydroalcooliques, en respirateurs. Cette crise est une crise de logistique et de production autant que sanitaire, comme nous allons, je le crains, le découvrir au fur et à mesure que le confinement se prolonge. Les détails de la logistique interviennent aux endroits les plus inattendus. Lorsque les pédales des poubelles à pied d’un hôpital marchent mal, médecins et soignants sont obligés de mettre les mains sur des surfaces à risque de contamination élevé. Le juste-à-temps et le jidoka nous donnent un regard unique sur la fluidité de la logistique et la flexibilité de la production (multiplier de plusieurs ordres de grandeur la production de masques, par exemple). L’obsession de la qualité nous permet de nous poser les bonnes questions sur les solutions à moyen terme pour nos entreprises – et la société. Quelle logistique et quelle production doit-on mettre en place dès aujourd’hui pour protéger nos employés et sécuriser nos clients ?
Malheureusement, les grandes crises sont trop souvent l’occasion pour les grands chefs de reprendre la main sur les équipes, en mode command-and-control et de lancer une hyper-solution après l’autre, avec les résultats que l’on sait. La première règle de la gestion de crise est de ne pas empirer les choses, et on sait que des réactions trop extrêmes et à côté de la plaque engendrent des cascades d’incidents et parfois des catastrophes. Les problèmes sont locaux, et les équipes sont dans des conditions très différentes. Les réponses à la situation de crise naîtront de notre écoute des équipes et de notre curiosité vis-à-vis de la façon dont elles abordent les problèmes. Nous pouvons les inspirer en organisant du yokoten – partage et amélioration – avec les outils de partage à distance dont nous disposons actuellement. Les questions que posent le lean en grande crise sont : 1/ comment protéger et encourager l’initiative locale et 2/ comment coordonner le partage des essais et la collaboration sur les sujets globaux pour développer l’esprit d’équipe et forger des solutions astucieuses sur les idées de tous ?
Résoudre des problèmes au quotidien dans le travail routinier permet d’approfondir la compréhension que chacun a de son travail et de bâtir des cultures de la qualité par collaboration et l’amélioration. En temps de crise, cette capacité acquise de résoudre des problèmes devient critique – elle permet aux équipes d’aborder les situations les plus désastreuses plus calmement, de trouver des solutions plus habiles et, surtout, d’encaisser les inévitables revers avec plus de résilience.
Le lean est une méthode pour apprendre à changer. Penser lean c’est réfléchir à ce qui doit changer maintenant, et ce que nous devons conserver à tout prix. Le monde vient de changer – nous serons tous différents après cette crise de qui nous étions avant. Que devons-nous changer aujourd’hui ?
Michael Ballé
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