C’est un vrai problème, et il n’y a pas de réponse simple. Pour être honnête, la question ne se pose pas tant que ça dans la vraie vie, mais cela peut arriver, notamment quand le commerce et les opérations sont séparés, que les opérations pratiquent le Lean, et pas le commerce.
Il est vrai que les vrais praticiens du Lean s’attachent à accélérer les rotations, de manière à réduire les stocks en augmentant la fréquence de livraison et en réduisant la taille des lots, ce qui libère en général de la capacité tout en rendant l’ensemble du système plus efficace. Mais alors que faire de la capacité disponible ? Pour ce qui est des machines, vous pouvez juste les garder au repos, les vendre si vous pouvez, ou bien les rebuter. Mais quid des gens ?
La question ne se pose pas tant que ça parce qu’il faut quelques semestres pour que le Lean apporte des résultats tangibles. Les premiers résultats apparaissent immédiatement, mais les implications organisationnelles de la récolte de ces « fruits mûrs » sont plus difficiles à appréhender, car le management doit d’abord comprendre le « pourquoi ? » de ces résultats, en tirer les bonnes conclusions et changer ses propres pratiques managériales (malheureusement, dans bien des cas, ce basculement de résultats ponctuels vers des résultats systémiques grâce à un changement des choix managériaux n’arrive jamais). Ce changement en profondeur peut prendre de un à trois ans.
Durant cette période, la rotation naturelle des équipes a tendance à compenser les postes libérés par les initiatives d’amélioration. Le nombre de postes peut être réduit, mais pas les emplois pour les gens. D’autre part, la plupart des entreprises emploient des intérimaires, dont le nombre peut être également réduit.
Quand les managers de haut niveau tirent les enseignements des premiers kaizen et voient le potentiel de transformation intégrale de l’activité, ils voient aussi très vite que cela va libérer de la capacité, qui devra être exploitée pour éviter les licenciements. La réponse évidente est : vendre plus !
Prix ou produit ?
Au départ, c’est ce qui se passe naturellement car une meilleure qualité et une meilleure ponctualité boostent les ventes. Mais assez rapidement, ce pic va révéler les vraies questions :
- Devrions-nous faire profiter nos clients d’une partie des gains générés par le Lean en baissant nos prix pour générer du volume ? Question pas facile, car les transformations Lean sont rarement aussi nettes, et cela prend du temps de comprendre l’impact sur les coûts de l’amélioration de la performance. Dans mon expérience, la clé n’est pas de décider de baisser les prix pour attirer de nouveaux clients, mais d’être capables d’aligner nos prix aux conditions du marché, la pression était déjà là, et cela signifie perdre moins de parts de marché par manque de compétitivité.
- Devrions-nous étoffer notre offre pour pouvoir maintenir nos prix et augmenter nos commandes ? C’est la voie qu’essaient généralement de prendre les entreprises que je connais. Cela signifie une revue sans concession de ce que nos produits apportent réellement à nos clients, et sur la manière d’améliorer à la fois la performance et les fonctionnalités pour les rendre plus attractifs.
Dans les deux cas, la clé réside dans la capacité à voir le Lean dans la globalité de l’entreprise. Dans le premier cas, des opérations vers le commerce dans le but de traduire l’amélioration de la qualité en parts de marché, et dans le deuxième cas depuis les opérations vers l’ingénierie dans le but de traduire une plus grande flexibilité en la capacité d’élargir l’offre et de proposer de nouvelles alternatives au client.
La protection de l’emploi n’est probablement pas le meilleur angle d’attaque si vous partez avec l’idée de protéger l’emploi, vous risquer de vous ranger du côté des défenseurs du statut quo, et la transformation Lean n’adviendra pas ? l’activité ne deviendra pas plus compétitive, et les emplois seront plus en péril que jamais.
Créer des emplois pour sauvegarder des emplois
Rien n’est jamais figé, la seule façon de sauvegarder des emplois est de créer des emplois, ce qui signifie proposer votre service ou votre produit à plus de clients. En conséquence, cela signifie considérer le Lean comme une vraie stratégie pour votre activité, et pas seulement une méthode figée d’amélioration locale. Pour vraiment voir le Lean, vous devez vous focaliser sur la valeur pour le client, l’analyse de la valeur, l’ingénierie de la valeur :
- Qu’est-ce qui compte vraiment pour le client : quels bénéfices retirent-ils de travailler avec vous, et à quel prix ? comment peut-on augmenter les bénéfices ou réduire les prix ?
- Comment pouvez-vous augmenter la valeur dans les contrats actuels ? Utiliser les outils du Lean pour augmenter la valeur tout de suite vous montrera ce que les clients apprécient vraiment dans votre offre.
- Comment pouvez-vous mettre à profit cet apprentissage pour améliorer vos contrats à venir ? Comment pouvez-vous augmenter la valeur dans la conception de vos produits ou services pour croître organiquement et convaincre vos clients de continuer à acheter ?
Vendre ne signifie plus seulement vendre, mais vendre à nouveau ! de toute façon, les clients ont pratiquement tout et changer de fournisseur est de moins en moins coûteux. Que pouvons-nous faire pour les convaincre de continuer à acheter chez nous ? Nous devons leur fournir plus de ce qu’ils aiment ! ce qui signifie que nous devons changer, tout le temps. Les emplois ne peuvent être protégés car ils doivent évoluer pour continuer à suivre les clients. En revanche, les personnes peuvent être assurées de conditions d’emploi stables si nous trouvons un moyen de faire croître l’activité en apportant plus de valeur.
Réduire la taille des lignes et le nombre d’équipes sur le produit A peut être nécessaire pour adapter le rythme de production à celui des ventes. D’une manière globale, la prospérité signifie être capable de basculer les ressources vers le produit B sans rupture, ce qui implique (1) vendre le produit B, et (2) avoir la flexibilité de produire indifféremment A ou B avec les mêmes ressources, ce qui nous ramène à augmenter nos rotations en améliorant notre flexibilité.
De quelle sorte de Lean parlons-nous ? Recherchez-vous des optimisations statiques ici ou là ? Alors oui, les améliorations locales de productivité peuvent mettre les emplois en péril, surtout si on le fait de manière étriquée, avec pour objectif de réduire les coûts.
En revanche, le Lean en tant que stratégie d’entreprise va considérer que la libération de capacité et l’augmentation des ventes sont un seul et même problème, les deux faces d’une même pièce. La pensée Lean exprime explicitement qu’il faut démarrer par la valeur pour le client, chercher ensuite à améliorer la flexibilité dans les flux de valeur, accélérer les flux, puis tirer le flux pour y travailler quotidiennement, ce qui crée les conditions du Kaizen et de la recherche de la perfection. La perfection n’est pas un état figé, c’est une proposition de valeur dynamique.
Traduction par François Lopez
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