« Le secret de Toyota, nous a confié Isao Yoshino lors du dernier Lean Summit, est qu’il n’y a pas de secret. Nous sommes sérieux. C’est tout. »
Okaaaay…. Mais qu’est-ce que sérieux veut dire ? Au cours de sa masterclass, il a expliqué que, soit on obtient un bon résultat, soit pas, et soit on le fait avec une bonne méthode, soit pas. Le but, évidemment est d’obtenir un bon résultat avec une méthode – mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois on obtient un bon résultat sans méthode ou avec une mauvaise méthode. Parfois on applique la bonne méthode mais, pas de chance, le résultat n’est pas là – et il faut se demander pourquoi (c’est d’ailleurs pour cela que déployer des solutions lean n’a pas grand sens – les contextes varient). Et, souvent, les managers ne tentent d’employer aucune méthode et n’ont aucun résultat.
Qu’est-ce qu’est une bonne méthode ? C’est une méthode qui permet d’obtenir un résultat concret, tout en renforçant l’entreprise – c’est à dire en renforçant la capacité future de l’entreprise à obtenir ce genre de résultats de manière répétable. Dans le cadre du lean, une bonne méthode est donc une méthode qui développe les personnes.
De ce point de vue, développer les personnes signifie les aider à approfondir leur compréhension des sujets et des contextes, ainsi que leur capacité à embarquer les autres dans la résolution des problèmes – et de s’assurer que les problèmes restent résolus.
Les outils visuels du lean sont donc construits de manière à faciliter cet apprentissage.
Prenons le cas du premier sujet à aborder : la sécurité.
Le premier pas est d’afficher le nombre de jours consécutifs sans accidents, et le record de nombres de jours consécutifs sans accidents de manière à déclarer clairement à tous l’intention de ne jamais avoir d’accidents. L’outil donne la direction, l’intention.
Le deuxième pas est d’afficher et de tenir à jour visuellement un baromètre des conditions quotidiennes de l’environnement de travail – pour noter, sur un ensemble de critères, si la situation est acceptable ou pas. Le but de cet audit quotidien n’est pas de fournir un schéma de « remise en conformité » mais d’offrir au manager une méthode d’analyse, qui lui permet de reconnaître les points saillants et de repérer les problèmes.
Le manager, en troisième étape, peut ainsi partager cette analyse avec ses équipes, non pour leur dire de se remettre au pas, mais pour discuter des causes et conditions des problèmes observés. L’outil visuel, le tableau, permet de partager l’analyse au premier coup d’œil et de mener une discussion d’équipe et un retour sur l’observation.
C’est alors que, quatrième étape, le manager peut solliciter les suggestions des personnes sur les points difficiles. On comprend que si la règle de sécurité n’a pas été respectée, c’est que la personne a rencontré une difficulté spécifique et concrète à ce moment, et n’a pas eu le loisir (ou la présence d’esprit) de se remettre en de bonnes conditions à ce moment. La discussion porte alors sur les suggestions que les collaborateurs peuvent apporter pour concrètement résoudre ces problèmes ou éviter ces situations.
Cinquième stade : le manager peut suivre et soutenir la mise en œuvre de ces contremesures. La solution définitive n’est pas connue, et ne le sera peut-être jamais, mais les contremesures imaginées par les personnes permettent la plupart du temps de mieux comprendre le problème réel – comme, par exemple, des équipements de sécurité peu adaptés à certains travaux, ou au chaud ou au froid.
Finalement, en retournant voir et en évaluant le succès ou l’échec des différentes contremesures, le manager peut ainsi approfondir son dialogue avec son équipe, mieux comprendre le problème, et repérer les collaborateurs qui font preuve de jugeote, d’initiative et de créativité – et dire merci aux équipes.
L’outil visuel lean n’est pas un outil de management conçu pour s’en approprier l’analyse, en tirer des conclusions dans son coin, puis s’évertuer à faire appliquer les solutions retenues, que les équipes en veuillent ou pas (qui aime appliquer l’idée de quelqu’un d’autre ?). C’est au contraire un outil qui permet d’approfondir le rapport qu’on a avec ses équipes, l’engagement des personnes en soutenant les initiatives individuelles et, au final, une meilleure compréhension des problèmes de sécurité dans une multiplicité de contextes et vus par des personnes différentes.
Prenons un deuxième exemple avec la qualité.
Dans le digital, par exemple, il s’agit d’éviter aux utilisateurs de découvrir des bugs dans le logiciel. Cela s’obtient habituellement en dédiant une partie des efforts de développement à la correction pour réduire le nombre de bugs connus, avant de mettre le logiciel en production. C’est une activité nécessaire, mais elle rebute les développeurs et ne déclenche que rarement des apprentissages profonds.
Une meilleure méthode, d’un point de vue lean, consiste pour le manager à embarquer son équipe en affichant un score différent : le nombre de bugs créés chaque semaine, avec comme intention claire d’apprendre à écrire du code sans défauts. Le manager étudie ensuite avec les développeurs les conditions qui ont conduit à l’introduction de chaque bug. Les attentes fonctionnelles étaient-elles claires et cohérentes ? La modification de code était-elle trop large ? Le fonctionnement du code existant était-il bien compris ? Cette méthode d’analyse amène les développeurs à mieux comprendre les différents cas de figure et proposer leurs propres idées pour améliorer leurs pratiques de codage. En les engageant ainsi, le manager apporte des résultats à l’entreprise – moins de défauts et de temps passé à les corriger – tout en renforçant l’initiative et l’expertise des développeurs et en améliorant les relations qu’il a avec eux.
Certes, il n’y a pas de secret. Mais il y a quand même un secret.
Le point de départ managérial est de ne pas confondre des idées génériques et les réalités spécifiques du terrain, et de savoir que les solutions sont rarement connues (quand elles le sont, le problème n’apparaît plus) – ce qui nécessite un changement de posture radical pour nombreux managers « décideurs ». En partant de ce principe, les nombreux outils du lean permettent de faire une analyse de la situation et de la partager visuellement avec les personnes qui vivent la situation au quotidien – ou, mieux encore, leur faire faire l’analyse directement. Puis, en engageant les collaborateurs dans des tentatives de contremesures, on approfondit sa compréhension du problème et on découvre des idées nouvelles. On fait également émerger des talents, qu’on peut encourager à développer ces nouvelles idées. Ce qui implique les personnes plus encore.
C’est ainsi qu’on obtient, au final, de bons résultats avec une bonne méthode – une méthode qui permet non seulement d’avancer sur le coup, mais qui enrichit également les “capabilités” de l’entreprise par la recherche et l’encouragement d’intuitions et de bonnes volontés pour, pas à pas, construire des conditions plus performantes de fonctionnement. Les outils visuels du lean sont bien plus que de simples techniques d’analyse – ce sont des supports pour apprendre à embarquer les équipes dans la recherche l’amélioration, partout, avec tout le monde, tous les jours.
Régis Medina et Michael Ballé
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Vidor
Merci Michael et Régis pour votre analyse.
Est ce qu’on peut en déduire qu’une transformation Lean est réussit si les collaborateurs font plus de + initiatives et suggestions ?