Gemba ou bien Genchi Gembutsu ?

Existe-t-il une différence entre le terme « Gemba » employé dans les articles sur le lean et le Genchi Gembutsu qui apparait dans la littérature Toyota ?

Heu, non… en fait, oui. La définition officielle du Gemba dans le Lexique Lean est « le terme japonais pour « le vrai lieu », souvent utilisé pour désigner l’atelier ou n’importe quel endroit où est effectué un travail à valeur ajoutée ». On écrit aussi Genba. Genchi Genbutsu signifie « aller à la source pour vérifier les informations par vous-même, afin de vous assurer que vous avez la bonne information pour prendre la bonne décision ». Le premier est un lieu, le deuxième une action. En vérité, la plupart des textes sur le Lean parlent d’ « aller sur le gemba », de « faire des Gemba Walks » ou d’ « aller voir sur le terrain ». La plupart du temps, j’emploie le terme « gemba » comme un compromis entre le terme « poste de travail », qui sonne bizarre, et le « Genchi Gembutsu », qui vous en met plein la bouche.

Voici une brève vidéo (en anglais) dans laquelle Michael Ballé, co-auteur du livre « Lead With respect », utilise une file de taxis dans Paris pour montrer l’intérêt d’« aller voir sur le terrain ».

Au-delà de la terminologie, existe-t-il une différence dans l’esprit? En fait, oui – mais il n’y a pas de consensus sur ce point, donc je vous donne mon opinion personnelle : le Gemba est un terme statique, qui est en général interprété comme « voir les problèmes au vrai endroit », des problèmes que nous devons résoudre pour que le Gemba travaille plus facilement et mieux.

Le Genchi Genbutsu tel que je l’ai vu pratiquer par des senseïs du TPS s’attache plus à détecter des opportunités d’amélioration. L’un s’attache à ce que vous voyez, l’autre à ce que vous devriez voir.  OK, je force un peu le trait. Apprendre à voir ce qui se trouve sur le terrain, et ce que font de vraies personnes avec de vrais produits dans des conditions réelles est essentiel pour comprendre comment nos décisions rendent le travail plus facile ou plus difficile, ralentissent ou accélèrent le flux, etc… Voir la réalité en face sans blâmer ceux qui travaillent est une compétence fondamentale du manager Lean.

À la pêche aux ennuis

Savoir voir ce qui n’y est pas est également important ; quelles sont les améliorations qui pourraient être apportées immédiatement, comme par exemple :

  • Un meilleur visuel pour révéler les problèmes
  • Améliorer l’environnement de travail pour fluidifier les mouvements des opérateurs et éliminer les obstacles
  • Faciliter la détection de pièces défectueuses ou de conditions dégradées
  • Stabiliser le flux de produits en réduisant la taille des lots

Au bout du compte, comprendre comment le Muri, le Mura et le Muda interagissent dans la vraie vie. Encore des termes japonais, qui désignent la surcharge, le déséquilibre, et le gaspillage (ie des activités qui utilisent des ressources sans ajouter de valeur).

Pour résumer, le Gemba présente des problèmes actuels auxquels nous devons faire face, alors que le Genchi Gembutsu s’attache plus à rechercher des opportunités d’amélioration que nous devons trouver. Comme nous sommes en train de pinailler sur les termes, autant utiliser les mots corrects :

  • Le Gemba suscite une interprétation synchronique du Lean: voir le problème, le résoudre, passer à autre chose. Le Lean en tant qu’architecture : cartographier le flux de valeur actuel, le reconcevoir pour avoir un état futur, le mettre en oeuvre
  • Le Genchi Gembutsu propose une approche plus diachronique : grâce au Genchi Gembutsu, vous apprenez à créer le consensus entre les gens et vous les entraînez vers un but commun.  C’est faire du Lean comme on fait de la poterie, avec l’argile sur le tour. Ce n’est pas de l’architecture.

Cette différence d’interprétation est critique – l’une vous amène vers l’excellence opérationnelle (chaque opération doit être réalisée au bon niveau de performance), l’autre vous amène au Lean (repousser autant que possible les frontières de la satisfaction client, de la flexibilité, de la productivité ou de la performance énergétique). Ce sont deux voies très différentes, avec des résultats très différents – la première aide à rattraper des systèmes en train de s’étouffer dans leur propre bureaucratie, la deuxième produit des courbes dynamiques d’apprentissage qui génèrent la vraie innovation.

Comment allez VOUS voir sur le terrain

Je me rappelle avoir visité un site de manutention Toyota juste après le passage d’un senseï. Le senseï avait traversé les lignes et pointé les problèmes sans dire grand-chose, et avait ensuite jeté un oeil sur le gigantesque MIFA qui était affiché sur le mur (hé, MIFA ou VSM ?), sur lequel le stock tout au long du flux était représenté par un cercle pour chaque conteneur. Le senseï a pris un stylo, et a barré certains cercles pour montrer où il voulait qu’on réduise les stocks, puis il est parti sans plus d’explication.

Je ne suis pas en train de suggérer d’abandonner le Gemba ou le Genba pour le Genchi Gembutsu, Je suis juste en train de dire qu’une mauvaise compréhension des termes est une cause majeure de non apprentissage. La plupart des mots n’ont pas une signification unique. Certains mots comme « jeux » ont plusieurs significations qui ne se recouvrent pas. Les mots sont des concepts, qui doivent être explorés en tant que tels. C’est pourquoi votre question est excellente, même s’il n’y a pas de réponse définitive. Il est certain que les auteurs Lean continueront de confondre les termes Gemba, Genchi Genbutsu, ou poste de travail, et cela entretiendra la confusion dans les esprits. Nous devrions être sensibles à chaque nuance dans la signification des mots et continuer à explorer le concept et l’esprit qui se cachent derrière chaque mot. Certains de mes collègues arguent que pour rendre le Lean intelligible, nous devrions nous limiter aux mots en français. On ne peut qu’être d’accord avec cela. Mais quelle valeur réside dans l’intelligibilité ? La compréhension fine résulte de l’effort qu’on aura consacré à comprendre, et une partie de cet effort consiste à explorer les différentes nuances des concepts que notre esprit associe à des mots simples. Il en est ainsi de Muri, Mura, Muda, Surcharge, Déséquilibre et Gaspillage. Idem pour Poste de travail, Gemba ou Genchi, Genbutsu. L’apprentissage réside précisément dans nos efforts de voir au-delà des mots les différences entre les termes, et pas seulement l’interprétation de Monsieur Toutlemonde – Et nul doute que la distinction « diachronique __ synchronique » est clé pour « devenir » Lean.

En conclusion, la réponse à votre question pourrait être : continuez à la poser, écoutez un large spectre d’opinion et de perspectives, et faites-vous votre propre opinion sur la différence entre Gemba et Genchi Genbutsu, que vous considériez que finalement c’est la même chose ou que les deux termes couvrent deux manières complètement différentes d’« aller voir sur le terrain ».

Traduit de l’américain par François Lopez.

Source : http://www.lean.org/balle/DisplayObject.cfm?o=3058

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