Cher Gemba coach,
J’ai démarré une entreprise de services informatiques il y a 15 ans, et nous sommes maintenant 20 personnes. Nous devons nous tenir au fait des nouvelles technologies, mais je ressens de la frustration à être le seul qui s’attache sérieusement à l’expérimentation et l’apprentissage de nouveaux systèmes. J’ai donc mis en œuvre un Hoshin Kanri pour engager les autres. J’ai beaucoup de résistances, au prétexte que le Hoshin Kanri est bien trop bureaucratique pour une structure de la taille de la nôtre. Cette résistance est-elle normale ? Je m’y tiens, ou bien je lâche du lest pour reconsidérer ma position ?
Honnêtement, le Hoshin Kanri pour 20 personnes peut générer de la surcharge, et éventuellement être surdimensionné. Prenons du recul et posons-nous la question : quel est le problème que vous cherchez à résoudre ? En quoi le Hoshin Kanri peut-il vous aider ?
Le Hoshin Kanri est apparu dans le Japon des années 50, comme un outil pour :
- Concentrer l’organisation sur un but commun
- Expliciter clairement ce but auprès de tous les leaders
- Traduire ce but en objectifs et impliquer les leaders dans la manière d’atteindre ces objectifs
- Tenir les leaders responsables de l’atteinte de ces objectifs
Dans votre cas, je comprends que vous essayez de focaliser votre entreprise sur l’exploration de nouvelles technologies, d’impliquer vos leaders (qui sont-ils ?) dans l’atteinte de ce but, et finalement vous assurer que des progrès sont réalisés sur ces objectifs, conformément à votre volonté.
Ces questions de fond sont “dimensionnantes” et l’ensemble de la bureaucratie du Hoshin Kanri n’est peut-être pas nécessaire pour démarrer. Dans une petite entreprise, les problèmes sont bien plus personnels, et très différents du besoin de décliner des objectifs vers des centaines de personnes. Si nous regardons votre problème selon une perspective de face à face, nous pouvons explorer quelques questions clés.
Attention à la marche
Premièrement, chacun de vos employés comprend-il ce que vous essayez de faire ? Mon expérience dans les petites structures est que chacun a plus de travail qu’il ne peut en faire, et que les gens ont tendance à prioriser ce qu’ils doivent faire immédiatement – en particulier servir le client. Prenez-vous le temps d’expliquer personnellement votre vision technique à chacun de vos employés ? Il ne s’agit pas de dire « fais ci, fais ça », mais d’avoir des discussions longues et fréquentes pour expliquer pourquoi vous pensez qu’explorer les nouvelles technologies est important. Quelles sont les tendances du marché ? Dans quelle direction souhaitez-vous orienter
l’entreprise ?
Cela peut vous sembler si évident que c’est une perte de temps, mais dans mon expérience, la moindre imprécision est ici un énorme gap entre ce que le patron a en tête et ce que ses employés pensent. Il faut tout d’abord créer un vrai espace de réflexion avant d’embrayer sur les plans d’actions, et c’est particulièrement difficile du fait de la pression liée à l’exécution des contrats au quotidien.
Deuxièmement, avez-vous pris le temps de discuter avec chaque personne des points spécifiques qu’elle doit traiter, et comment ? Si vous voulez que votre équipe adhère à votre vision, vous devez les laisser y contribuer par leurs idées et leur expérience, même si le résultat n’est pas exactement ce que vous souhaitez. Cela signifie orienter la discussion depuis votre vision de l’évolution de l’entreprise vers des points spécifiques sur la contribution personnelle de chaque individu. M. Untel peut-il apprendre une nouvelle appli ? Peut-il trouver un moyen de rendre une tâche routinière avec une nouvelle techno ? S’il semble dépassé et ne s’engage pas, vous devez réduire le périmètre jusqu’à ce que vous puissiez vous accorder sur un but spécifique et une méthode spécifique pour l’atteindre. Vous devez faire cela avec chaque individu.
D’un point de vue global, cela peut ne pas vous sembler très cohérent ou rejoindre la grande vision à laquelle vous aspirez, mais cela vous donne un point de départ pratique avec chaque personne, à partir duquel vous pouvez bâtir en fonction des progrès de chacun (ou redéfinir s’il n’y a pas de progrès).
Troisièmement, avez-vous défini des points de contrôle spécifiques pour vérifier comment vont les choses et partager les progrès avec votre équipe ? Cela peut prendre la forme d’une revue individuelle, ou d’une discussion en équipe autour d’une bière et d’une pizza – l’important étant que vous ayez défini au préalable quand vous allez vérifier les progrès, tant individuellement que collectivement. En fait, vous devenez un « client » pour votre équipe, et vos exigences font partie du travail à réaliser, comme pour n’importe quel client. Bien entendu, cela nécessite un peu de discernement.
Que vont-ils en retirer?
Quatrièmement, comment faites-vous en sorte que ça vaille le coup pour eux? En général, les gens ne font pas ce qu’ils savent qu’ils devraient faire pour deux raisons (souvent les deux) :
- Ils n’ont pas totalement confiance dans leur capacité à réussir la tâche qui leur est confiée
- Ils ne voient pas l’avantage personnel qu’ils vont retirer de la réussite de cette tâche par rapport
à d’autres choses qu’ils savent bien faire
Cela signifie qu’il faut bien prendre en compte les incitations implicites que vous avez mises en place dans votre compagnie. Ne sous-estimez pas l’impact de votre posture, en particulier dans une petite structure. Si vous dites deux fois à quelqu’un de travailler en priorité sur le besoin client plutôt que sur un projet exploratoire, il vous recevra 5 sur 5 : il saura que la nouvelle techno n’est pas une priorité, mais plutôt la cerise sur le gâteau.
De la même manière, exprimez vos frustrations et dites une ou deux fois à quelqu’un de faire son fichu boulot et il rentrera dans sa coquille, évitera de vous poser des questions de réflexion, et vous livrera ce qu’il pense que vous voulez, tout en prenant un minimum de risques. Garder votre équipe dans l’expectative de ce que vous attendez d’eux est le meilleur moyen pour qu’ils prétendent réfléchir et arrêtent de réfléchir sérieusement par eux-mêmes.
J’ai bien conscience que c’est dur à entendre, mais quoi, c’est Lean, non? La première étape pour répondre à votre question est de vous demander s’il est possible que, de manière inconsciente, vous empêchiez votre équipe d’explorer de nouvelles technologies.
Dans sa récente intervention au sommet Lean des Pays Bas, Jean Cunningham a décrit comment,
à Lantech, on attendait de chaque employé qu’il contribue des trois manières :
- Faire son travail du mieux possible
- Intégrer les activités kaizen pour améliorer immédiatement les méthodes de travail
- Participer aux initiatives stratégiques pour explorer de nouvelles opportunités pour l’entreprise
Elle a suggéré qu’on pouvait établir pour chacun un diagramme montrant son pourcentage d’implication dans chacune de ces trois activités.
Partez à la recherche de l’esprit Hoshin
Dans une petite entreprise, il est souvent difficile de faire la distinction entre le Kaizen et les initiatives stratégiques. Les deux tendent à se confondre car tout le monde fait plus ou moins de tout, et dans tous les cas, bien faire son boulot occupe tout le monde à temps plein. J’ai bien peur que les réticences que vous voyez sur le Hoshin Kanri ne soient légitimes – cela peut s’apparenter à une danse de la pluie piloté par le corporate de manière un peu lourde pour une petite compagnie. Les employés vont voir le formalisme d’un mauvais œil et hausser les épaules quand vous leur direz à quel point c’est important – vous voyez quelque-chose qu’ils ne voient pas.
D’un autre côté, se lancer dans la voie de la pensée Hoshin et la pratiquer en face à face avec chacun de vos subordonnés, puis les amener à partager régulièrement leurs expériences, représente un moyen pratique de traiter votre problème. On pourrait appeler cela le Hoshin Kanri informel.
Dans ce cas – petite entreprise – je m’efforcerais de développer à tout prix l’esprit du Hoshin Kanri (expliquer ce que vous recherchez et amener vos gars à définir leur propre objectif et leur méthode pour vous aider à atteindre votre but), plutôt que de rentrer dans un lourd processus pas à pas de définition de cibles et de points de contrôle (vous savez, la fameuse matrice 15×15 !).
Quand le doigt montre la lune, c’est la lune qu’il faut regarder, pas le doigt !
Traduction par François Lopez
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