Renouer la confiance : une histoire de relation, de conversation et de qualité
Le futur ne prolonge pas le passé : nous savons tous qu’en matière de fidélisation client, rien n’est jamais acquis, et que ce n’est pas parce qu’un client travaille avec vous depuis des années que cela vaudra pour toujours.
Pourtant, on peut se laisser porter en se disant que les concurrents ne font pas forcément mieux, jusqu’au jour où…
Automne 2023, Latem Industrie, spécialisée en tôlerie et petite mécanosoudure au sein du groupe Hexalean, est mise sous contrainte par l’un de ses principaux clients historiques : “Développez un plan qualité, sinon nous ne pourrons plus continuer à travailler ensemble.“
D’abord secouée, l’équipe de direction renouvelée s’active. Dans ses discussions et sur le terrain, les équipes ne savent pas encore comment avancer, mais on entend de plus en plus parler de qualité à tous les étages. Habituellement, les conversations portaient davantage sur le délai : “vite, on est encore en retard, il faut que cela sorte, qui fait quoi ?“. Les conversations sont également plus nombreuses avec le client. Bref, on se parle, et on se parle de qualité.
Challenge n°1 : faire rempart et ne plus laisser passer aucun défaut en sortie d’atel ier. Toutes les pièces reçues par le client doivent être bonnes. Les équipes expérimentent la mise en place d’un contrôle qualité final avant expédition, plus sérieux, solide et systématique. Elles progressent dans leur compréhension des attentes du client et des points clés d’une pièce bonne en sortie. Résultat : division par 4 du taux de non qualité externe en moins de 6 mois, 100% des pièces arrivant chez le client sont OK. La confiance se renoue.
Les équipes se motivent grâce à cette première réussite et au feedback positif du client. Mais côté qualité interne, cela pêche. Quasiment toutes les pièces sont reprises suite au contrôle qualité final car on ne fait pas “bon du premier coup” aux différentes étapes.
La direction s’accorde sur le prochain challenge : remonter le flux, faire rempart à chaque poste et ne plus laisser passer aucun défaut en interne. Chaque équipe doit développer son auto-qualité et transmettre des pièces bonnes à l’équipe suivante, et ainsi de suite jusqu’en sortie.
L’orientation est claire mais le chemin inconnu ! Pour la direction, il va falloir camper sur le terrain pour chercher les obstacles, comprendre les conditions manquantes (en termes de milieu, de matière première, d’informations, de machines et d’outils, de méthode, de ressources humaines, de compétences), repérer qui a besoin d’aide et qui a besoin d’apprendre quoi, orienter et soutenir chaque équipe et chaque personne dans l’expérimentation de contre-mesures permettant de rendre le travail plus facile et de faire mieux pour le client.
Automne 2024, à l’occasion d’un Gemba avec le DG et le directeur de site, je mesure avec eux le chemin parcouru dans la qualité des relations construites avec le client et en interne : le socle de confiance nécessaire pour bâtir la suite. Pourtant, ils ne sont toujours pas satisfaits d’eux devant tout le travail restant à mener, mais ils savent que l’amélioration continue est un chemin sans fin, c’est ce qui les motive !
Ensemble, en suivant une pièce dans le flux, destinée à ce client, nous découvrons principalement 2 choses.
1 – L’écoulement des pièces entre les postes présente des à-coups : des pièces qui attendent, des coups d’accélérateur notamment en fin de mois. Leur discussion les conduit à l’hypothèse que sans une meilleure stabilité, il est difficile pour chaque équipe et chaque opérateur d’avoir l’espace mental pour réfléchir et progresser dans la maîtrise des gestes nécessaires à l’obtention de l’auto qualité.
Je leur demande où le TPS peut-il les aider ? C’est une question de rythme qui nous conduit à la case “takt time” dans le pilier “Juste à Temps”.
Un rapide calcul les amène à un takt time de 5 mn sur cette référence : si chaque équipe produit et livre une pièce (bonne) toutes les 5 mn à l’équipe suivante dans le flux, l’écoulement est fluide, ce qui favorisera la concentration nécessaire pour la qualité (et potentiellement la réduction des fameuses “erreurs d’inattention”).
On en est loin à l’heure actuelle avec des lots taillés grands, mais cela donne une boussole pour affiner l’ingénierie du flux vers un fractionnement des lots, davantage de lissage et une meilleure adéquation charge-capacité nécessaire à un travail serein.
Premiers exercices choisis par l’équipe pour se lancer : discuter avec le client des bénéfices mutuels à fractionner les tailles de commande et à lisser, pour voir comment progresser ensemble ; initier un premier test en divisant par 2 la taille des lots lancés en production.
Le point intéressant ici, c’est de voir en quoi le juste à temps est au service de la qualité, et vice versa, toujours dans le but de satisfaire le client et de faciliter le travail pour chacun.
2 – Un lot de pièces en sortie de robot soudure et en attente de finition présente des gratons aux angles (défauts de surface), une caractéristique qualité non OK et qui devra être reprise. Le DG et le directeur de site entament une discussion avec les responsables d’équipe concernés (amont-aval) devant ce “patient malade mal soigné au poste précédent”, qui découvrent avec embarras cette anomalie. Au sujet de l’opérateur à l’origine du défaut, son responsable nous confie : “Pourtant, je passe beaucoup de temps à expliquer à cet opérateur de faire attention, c’est encore une erreur d’inattention. Je vais y retourner, encore et encore“. Les deux responsables sont sincères, mais un peu lassés et à court de méthode. Expliquer n’est pas former… Savoir former est un art qui se travaille. Ils découvrent qu’on ne leur a jamais réellement appris à former.
Nous sommes là au cœur du pilier Jidoka et dans la base du TPS. Je les questionne sur les caractéristiques qualité d’une pièce de cette référence en sortie de robot soudure. Ils découvrent que les points clés sont dans leur tête, que l’opérateur en question n’a pas forcément ces mêmes points en tête à son niveau, qu’il en a peut-être d’autres. Ils ne savent pas réellement comment s’y prendre pour s’aligner, car d’autres opérateurs peuvent être amenés à produire ce type de pièce, et que chacun a sa manière de faire.
L’erreur ici serait d’élargir la réflexion en pensant à grande échelle le plan de formation de tous les responsables d’équipe, pour apprendre à former tous les opérateurs sur toutes les pièces. Le Lean nous apprend à réfléchir petit, dans une logique de “petit lot, pièce à pièce” selon ce que nous avons sous les yeux ici et maintenant.
Que peuvent-ils essayer ? Utiliser ce problème précis, encore frais dans la tête de l’opérateur, constitue une matière première pédagogique fertile pour se lancer. Cela revient à l’inviter à discuter autour de ce lot de pièces en anomalie, sur place sur le terrain, comprendre ce à quoi il a prêté attention dans sa production, l’amener à s’intéresser à la qualité de son ouvrage, à tester une nouvelle manière de faire dès demain sur cette référence, en lui apportant l’aide et le suivi quotidien dont il a besoin. Sur ce cas précis, le responsable prend la balle au bond pour se lancer avec son opérateur dès le lendemain.
Cet exercice constitue un premier round d’entraînement pour lui, avec l’idée qu’il le transforme progressivement en routine sur les prochaines pièces à défaut (visualiser les “bacs rouges”) pour organiser des micro sessions de formation “sur le champ” avec les opérateurs concernés, pour partager les savoir et savoir-faire.
On peut penser que cette routine est là pour améliorer la qualité. Plus finement, elle est là pour développer les compétences de leadership du responsable d’équipe, pour amener son opérateur à s’intéresser à la qualité et à développer sa fierté d’un travail bien fait qui ravira le client.
Cette histoire nous fait plonger au cœur de la notion de respect :
- Respect du client en revenant toujours à ses attentes et ce qui l’aidera à réussir auprès de ses propres clients.
- Respect des collaborateurs en cherchant constamment à faire progresser chacun, l’encadrant sur son leadership et sa capacité à montrer le cap, créer du lien et donner envie d’apprendre ; le collaborateur sur son attention et sa maîtrise des gestes clés apportant de la valeur au client.
- Respect de la planète en limitant la surconsommation et le gâchis d’énergie et de matière occasionnés par les retouches découlant des non qualités.
- Respect des actionnaires et de ceux qui financent l’entreprise en développant une saine rentabilité dans la durée et la garantie d’un investissement sûr.
Et pour cela, il faut s’efforcer d’appréhender le Lean et son arsenal de concepts et de pratiques sous l’angle d’une ingénierie de la relation et de la conversation, socle de la confiance.
Camille Flex
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