Cédric est manager chez Leroy Merlin France et a la responsabilité des échanges de données informatisés entre les enseignes Leroy Merlin et Weldom d’une part et les 2 500 fournisseurs d’autre part. Les messages échangés correspondent aux commandes, bordereaux de livraison et factures. Il travaille avec une équipe de 7 personnes.
L’ambition de l’équipe est d’avoir 100 % des messages échangés avec nos fournisseurs de manière dématérialisée pour plus de rapidité, de fiabilité et de traçabilité.
Le contexte
Entre 2014 (création du service dématérialisation) et 2018 (début du coaching Lean), le volume de messages échangés a augmenté de 91 %. De plus, nous avons changé de solution informatique et nous l’avons sous-traitée à un prestataire externe. Peu de choses étaient documentées et nous ne savions même pas comment cela fonctionnait en termes de règles de gestion. Dans le même temps, nous avons accéléré le déploiement de la solution auprès de nos fournisseurs.
Nous avons également délégué l’activité de RUN (suivi de l’application en production) à une équipe de support interne. Autrement dit, nous avions uniquement la responsabilité de l’embarquement des fournisseurs, c’est-à-dire le déploiement de la solution.
Enfin, c’est seulement à partir de 2018 que nous avons commencé à mesurer la fiabilité de ces services.
Les problèmes
1/ Partie Technique
En 2018, nous avons échangé 12,9 millions de messages avec nos fournisseurs (dont 10,3 millions dématérialisés) avec un taux de fiabilité de 94 % pour les commandes, 90,7 % pour les bordereaux de livraison et 85,4 % pour les factures. La non-qualité représente environ 1 030 000 messages (8 % du volume échangé), qui sont soit des retards de transmission (commandes), soit des rejets d’intégration (bordereaux de livraison et factures).
Après analyse, nous avons identifié que les problèmes provenaient :
- des applications internes (85 % pour les commandes, 26 % pour les bordereaux de livraison et 21 % pour les factures) ;
- de la solution EDI (15 % pour les commandes) ;
- des erreurs de données fournies par les fournisseurs (26 % pour les bordereaux de livraison et 79 % pour les factures).
2/ Impacts business
Les conséquences de ces problèmes avaient un impact sur le business :
- des promesses clients (magasins et Internet) non honorées (commandes) ;
- des réceptions de camions impossibles à réaliser (bordereaux de livraison) ;
- des paiements de fournisseurs impossibles (factures).
3/ Management
Mon management prenait la forme d’échanges réguliers par mails et d’une réunion mensuelle de 2 heures pendant lesquelles l’équipe présentait ce qu’elle avait fait. Il m’arrivait de ne pas voir mon équipe pendant dix jours.
Je pratiquais un management plutôt top / down, très orienté sur la stratégie et sans comprendre pourquoi les résultats de l’équipe étaient en décalage avec ce que j’avais prévu.
La prise de conscience
Les taux n’étant pas bons (cf. paragraphe précédent), nous avons décidé de reprendre la partie RUN pour mieux comprendre les raisons des incidents de production. J’ai organisé un séminaire (préparé et animé par des coachs Lean) chez notre fournisseur Cadiou. L’objectif était de s’ouvrir l’esprit sur le Lean avant de se lancer dans une transformation. Il nous a permis de toucher du doigt la définition du Lean, des outils comme la voix du client, des concepts comme la qualité et le management visuel.
Après ce séminaire où il y avait une vraie intention collective, nous avons eu du mal à ne pas replonger dans nos anciennes habitudes. J’ai alors décidé de nous faire accompagner par un coach Lean dès janvier 2019. Ma disponibilité pour mes équipes était toujours aussi faible et je faisais des points de suivi de mission avec le coach Lean entre 2 réunions.
Après quelques jours d’observation, le coach m’a demandé quand était prévu mon coaching. Je me souviens lui avoir répondu : « Moi ? Je n’ai pas besoin de coaching. Ce sont mes équipes qui en ont besoin. Je suis manager et j’ai peu de temps disponible, car je suis pris dans différents comités, réunions et instances. »
L’une de ses réponses m’a fortement marqué : « Si tu veux que ça change, il faut que toi-même tu changes. Plus de “même façon de faire” est égal à plus de “même résultat”. Tu ne peux pas demander à tes équipes de changer sans que toi tu ne changes. » Cette réponse a été magique, même si j’ai eu des difficultés à entendre le message. À force de le ressasser et après un long échange avec le coach, nous avons démarré mon propre coaching.
Les changements
Après quelques jours de coaching, des conférences, des visites d’entreprises pratiquant le Lean et quelques lectures, j’ai pris conscience que la valeur réside dans l’équipe : celui qui sait, c’est celui qui fait.
Il devenait donc inconcevable de continuer à passer 90 ou 95 % de mon temps déconnecté de l’équipe. J’ai choisi de renoncer à la majeure partie des comités de pilotage ou stratégiques et réunions diverses en me questionnant sur leur valeur pour l’équipe et pour moi.
J’ai inversé la tendance en passant au moins 80 % de mon temps avec l’équipe, donc sur le terrain, comme on dit en Lean. Plus je passais de temps avec elle, plus je comprenais les difficultés qu’elle pouvait rencontrer. Je me rendais compte que les objectifs que j’avais écrits étaient en décalage avec la réalité opérationnelle.
Les résultats
1/ pour les clients
Entre 2018 et 2021, durée du coaching, la fiabilité des échanges est passée de 90,7 % à 97,6 % pour les bordereaux de commande et de 85,4 % à 95,6 % pour les factures. Il est important de noter que dans le même temps, le volume de messages dématérialisés a crû de 37 % (10,3 à 14,1 millions).
2/ dans le suivi de nos activités
Nous avons construit une Obeya physique (vision, voix des clients, processus, planning, indicateurs et résolution de problèmes), support de l’ensemble de nos rituels, notamment nos plannings, démos et rétros de sprint toutes les 2 semaines.
3/ pour les équipes
Les périmètres de responsabilité au sein de l’équipe évoluent bien plus fréquemment qu’auparavant. Dès qu’une problématique est résolue, l’équipe cherche à en identifier de nouvelles, qui sont autant de formidables opportunités pour s’améliorer.
4/ pour le management
Je continue à passer 80 % de mon temps avec l’équipe. Dit autrement, j’accepte de passer 1 journée par semaine sans être auprès d’elle.
Les apprentissages
Je ne sais pas si je suis un bon manager, mais je sais que l’équipe (je m’y inclus) n’a jamais été aussi forte, autant dans la compréhension des problèmes que dans leurs résolutions. Nous sommes beaucoup plus armés aujourd’hui pour appréhender les changements soudains et forts de notre monde extérieur.
Pour moi, le rôle du manager consiste à permettre à chaque collaborateur d’exprimer tout son potentiel. Pour ce faire, il doit :
- définir la vision stratégique qui permet à chaque collaborateur de se projeter dans le futur ;
- définir les principes de management (règles du jeu du collectif) ;
- créer un environnement rassurant et bienveillant permettant à chacun d’oser sans être jugé. Abandonner le QUI pour le POURQUOI permet également de créer cet environnement ;
- se transformer en coach et être réellement disponible pour l’équipe et la faire grandir par itérations, par petits pas, en faisant ensemble, en valorisant les problèmes, en supprimant les croyances et en développant la culture de la mesure et de la priorisation, en félicitant les initiatives et en fêtant les victoires…
C’est un changement de mindset complet qui est demandé aux managers pour réussir à se transformer puis à transformer l’équipe.
J’identifie néanmoins 3 difficultés dans mon contexte :
- faire tenir les rituels dans le temps, parce qu’on est sollicité de toute part ;
- composer avec des profils très à l’aise dans le suivi opérationnel et prenant du plaisir quand ils sont en mode pompier. Il faut alors les arrêter pour prendre du recul ;
- le turn-over de l’équipe (60 % des personnes ont moins d’un an d’ancienneté) qui m’oblige à passer beaucoup de temps dans la formation des nouveaux pour que la culture s’installe.
Les transformations sont désormais perpétuelles et obligatoires. Les moyens les plus efficaces – à mon sens – pour les accompagner dans un monde mouvant où tout va toujours vite sont la confiance et l’apprentissage (développement des compétences).
Je profite de ces quelques lignes pour remercier mes équipes et notre coach Bertrand. J’ai beaucoup de chances de pouvoir travailler avec eux.
Decroix Caroline
Bravo pour ces changements opérés au sein de votre équipe et vous même et sur votre vision du management. Je pense que si tous les managers étaient comme vous, le monde du travail se passerait mieux.
De graeve
Quel beau témoignage Cedric, bravo pour cette réussite collective. Bertrand