Quelle année nous venons de vivre ! Affreuse pour tous ceux qui ont été touchés de près ou de loin par la COVID, bien sûr. Mais 2020 nous a révélé autre chose : le rêve de ceux qui prônent l’industrie 4.0. Cadres et middle-managers sont enfermés chez eux face à leurs écrans, leurs Zoom, Teams, Meet, etc. Sur le terrain les travailleurs sont au boulot, pilotés par plus d’écrans, devant eux, à leur poignet, qui leur disent où aller, quoi transporter, que faire. Les confinements et couvre-feux imaginés en réponse à la pandémie nous réduisent à notre plus simple expression de rouages dans la machine. Il faut le comprendre, ce n’est pas purement accidentel : c’est un projet mené par des chefs obsédés par la standardisation des processus et des vendeurs de solutions informatiques. Les deux s’accordent pour ignorer la réalité du terrain, et surtout des personnes.
Le respect-des-personnes dont nous parlons dans le lean, c’est avant tout l’appréciation de tout ce qui est humain. Les machines, les automates, les systèmes informatiques sont utiles, certes, tant qu’ils restent au service des humains – pas le contraire. Et les humains ont besoin d’attachements pour se sentir à l’aise, bien fonctionner et enrichir leur vie.
Attachement aux autres, tout d’abord – au-delà de sa famille proche on a besoin d’être entourés d’amis dans nos vies personnelles et de camarades au travail, de personnes à qui on peut faire confiance, qu’on aide dès qu’on peut et sur qui on peut se reposer.
Attachement aux choses que l’on possède, certainement, ou à un niveau de revenu qui nous permet d’envisager des expériences enrichissantes et des acquisitions satisfaisantes dans le futur – certes.
Mais aussi attachement à une cause, à un sens, à une raison de faire ce qu’on fait. Attachement à des valeurs qui sont les nôtres, chacun les siennes, et qu’on ne bafoue pas sans souffrance. Attachement à ce qui nous paraît important dans la vie et au travail.
Ces attachements ne vont pas de soi – il faut s’en occuper et réinvestir en permanence pour les approfondir et les enrichir. La somme de nos efforts pour les choses qui comptent est ce qui embellit notre vie, même quand les circonstances sont adverses et même si tout ne se passe pas comme on le souhaiterait.
Avant la victoire progressive du super-taylorisme et de l’optimisation à tout crin, il paraissait évident que l’entreprise devait équilibrer efficacité[1] (résultats obtenus pour elle-même) et efficience[2] pour les personnes (que chacun y retrouve son compte). Les dirigeants d’aujourd’hui, technocrates sortis du moule des écoles de commerce ou des cabinets de conseil, soumis aux impératifs du marché financier, ne voient plus le monde que par l’efficacité, l’optimisation, ce qu’ils appellent la transformation. Les personnes ont disparu, car qui a besoin d’humain quand on pilote tout par du reporting ?
Ironiquement, à force de s’imaginer super-efficaces, ils sont également devenus incapables – nous le voyons tous les jours. Incapables de prendre de bonnes décisions, incapables de faire marcher quoi que ce soit, incapables de délivrer les résultats qu’ils promettent autrement que par des pirouettes financières qui ne font qu’alourdir la dette des entreprises – et de la société. Car pour être capable, on a besoin des efforts volontaires des uns et des autres. Pour réussir de grands projets, il faut savoir coordonner les énergies de chacun et créer des systèmes de communication collaboratifs. Et pour cela il faut que chacun y voie son avantage, son bénéfice et puisse librement s’attacher au projet au lieu d’y être contraint pas les circonstances et l’impuissance de n’avoir aucune alternative.
L’approche lean est performante précisément parce qu’elle met en premier l’humain : l’entreprise est faite d’humains qui rendent service à d’autres humains pour des raisons humaines. L’approche lean comprend le besoin d’attachement à une entreprise, à une cause, à ses collègues et à son travail, comme elle comprend la souffrance de l’impuissance face à des systèmes inhumains et virtuels. C’est pour cela que le lean commence sur le terrain, avec les vraies personnes face à des vrais clients, à discuter de vrais problèmes et à chercher ensemble des contremesures concrètes. C’est également pour cela que le lean met la satisfaction des clients par l’engagement des employés comme premier but de l’entreprise.
Les nouveaux outils numériques sont là pour rester, et les transformations digitales qu’ils portent également – nous ne saurons revenir en arrière. Mais nous pouvons encore choisir comment et pourquoi s’en servir. Pour la nouvelle année, nous souhaitons faire découvrir l’alternative lean à plus de personnes, leur faire ouvrir les yeux sur le potentiel d’une entreprise plus humaine fondée sur la coopération et le projet commun, pour commencer à reconstruire, ensemble, un monde du travail respectueux des personnes.
Michael Ballé
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[1] Et 2 : Définition d’efficacité et d’efficience au sens de Chester I. Barnard qui définit ainsi ces deux notions :
- l’efficience, c’est la capacité de l’organisation à satisfaire les motivations et projets des personnes, seule garantie de pérennité de l’organisation ;
- l’efficacité, c’est la capacité à atteindre les objectifs recherchés par l’organisation.
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