Chaque changement… change les choses. Suis-je le seul ici à penser qu’après chaque changement, en ce moment, les choses sont pires ? Ce n’est pas juste que je vieillis – mon fils me dit pareil. On nous dit qu’il faut tout changer parce que sinon notre civilisation va périr dans un déluge de feu et d’eau, entre désertification et montée des océans, et en même temps chaque changement que nous vivons nous crée de nouvelles difficultés pratiques qui augmentent le niveau général de frustration et nous apprend à craindre le changement et rien n’en attendre.
En y réfléchissant cinq minutes, il n’y a aucune raison de penser qu’un changement se passera bien. On ne change pas par plaisir – quelqu’un quelque part se dit qu’une situation se dégrade et ne va pas s’arranger d’elle-même, et donc qu’il faut changer quelque chose. Sur le papier, le changement a souvent l’air sensé, et les effets anticipés plausibles. Mais plus on s’approche de la réalisation, plus on découvre de nombreux impacts auxquels on n’avait pas pensé. Si on mène bien le changement, on fait confiance à l’expérience des gens qui vont devoir acter le changement et on essaye d’anticiper au mieux – mais cela reste un exercice purement intellectuel.
Puis le changement se fait, et on découvre un lot de conséquences inattendues et de personnes mécontentes qui vivent de nouvelles difficultés concrètes. Souvent, les instigateurs du changement, technocrates ou managers, se disent tant pis, on ne peut pas faire plaisir à tout le monde, on roule sur les contestataires et on passe en force – cela se finit rarement bien car les difficultés sont réelles – évidemment que la réalité résiste ! Faisons ça trop souvent et on a convaincu tout le monde que chaque changement, s’il n’est pas mauvais, est tout du moins pénible et qu’on va y résister passivement le plus longtemps possible.
Donc premièrement, un changement se pense en réponse à un problème, deuxièmement un changement s’anticipe en en discutant avec les personnes concernées, et troisièmement une fois qu’il sera mis en œuvre, rien ne se passera comme prévu car le système dans lequel il s’inscrit va réagir de manière inattendue, tant au niveau global que sur le plan concret de la vie des gens.
Rien de tout ça n’est particulièrement surprenant ou invraisemblable – en fait, c’est tout à fait logique et dans la nature du changement. Et pourtant, on subit changement après changement, sans en comprendre les raisons, les modalités, en en subissant les effets avec force de contrariétés pour, au final, constater que la situation ne s’est guère améliorée, voire a empiré.
Le lean est une démarche de changement ancrée dans l’apprentissage : soit le changement est en mieux, soit on en apprend et on recommence jusqu’à ce que la situation s’améliore. En lean on comprend qu’essayer de faire avancer les choses implique son lot d’obstacles imprévus, de retours en arrière sur des choses qu’on savait faire mais qu’on a perdu de vue et de contrariétés pour les équipes. Du coup on s’y prépare :
- Qui doit-on mettre d’accord sur quel problème à résoudre ?
- À qui doit-on présenter l’analyse et le changement envisagé pour avoir leurs retours et leur adhésion ?
- Qui va être impacté dans son quotidien, et comment les aider ?
La première pratique du lean est le genchi genbutsu : aller voir sur le terrain pour observer les conditions réelles des problèmes et faire discuter ingénieurs, managers et opérateurs jusqu’à les mettre d’accord sur la nature du problème à résoudre. Quel est l’écart de résultat qu’il faut réduire et du coup sur quelle partie du processus est-il possible d’intervenir ?
La deuxième pratique du lean est celle de la résolution de problème avec un A3 : en résumant le problème, son analyse, les différentes options envisagées et celle retenue, le calendrier de mise en œuvre et comment seront mesurés les résultats sur une seule feuille de papier A3, on partage le raisonnement de début à la fin, et on a un support pour écouter les avis de ceux qui seront impactés directement – et prendre leurs suggestions.
La troisième pratique du lean est celle du kaizen : une fois le changement mis en œuvre, les porteurs de ce changement, ingénieurs et managers, s’attachent à repérer et résoudre, avec les opérateurs, tous les désagréments occasionnés par le changement et le plus souvent complètement inattendus et franchement imprévisibles. Il ne s’agit pas de résoudre les problèmes pour les équipes, mais de les soutenir dans la prise en compte et la résolution des difficultés créées par le changement de processus – et surtout d’encourager la participation volontaire dans cet accompagnement du changement, jusqu’à ce que la situation soit, d’un commun accord, un progrès par rapport à avant.
Les outils du lean, du kanban au MIFA ou à l’arrêt au premier doute par l’andon, sont tous des outils d’investigation pour mieux étudier les problèmes réels, là où ils surviennent lorsqu’ils impactent les clients ou les équipes, et comprendre les conditions dans lesquelles les processus ne délivrent pas le résultat attendu parce que les personnes rencontrent des difficultés imprévues. Le cœur de ce qui rend le lean différent est la résolution de problèmes collaborative – s’entre-aider pour partager et résoudre les problèmes – et le kaizen pour « polir » les contremesures et en enlever les aspérités pour les collaborateurs de terrain. D’ailleurs, même en situation stable, aucun processus n’est si parfait qu’il ne peut être rendu plus facile à manipuler – il y a toujours de la place pour du kaizen.
Managers, vous êtes un coût pour l’entreprise et une pénibilité pour vos équipes : quelle est votre valeur ? Vous pensez que vos décisions sont nécessaires, soit pour réagir aux évènements, soit pour progresser, mais qu’en est-il vraiment ? Vous pensez que si vous n’étiez pas là pour tout vérifier et tout contrôler rien ne se ferait, ou rien ne se ferait bien, mais qu’en savez-vous, en vrai ? Vous pensez que l’entreprise est plus performante et plus humaine grâce à vos choix et vos actions, mais est-ce le cas ? Sans une pratique délibérée et répétée du terrain, de la résolution de problème et du kaizen pour reconnaître les effets induits par les décisions prises, nous n’avons pas réellement de moyen de savoir. C’est en cela que le lean permet de développer des entreprises différentes où l’on travaille différemment.
Prenons une grande respiration et imaginons un instant que nos dirigeants aient mené leurs chantiers de changement en commençant par le terrain, en partageant leurs analyses et leurs solutions puis en encourageant le kaizen – où serions-nous ?
Michael Ballé
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