En tant que leader, combien avez-vous budgété d’investir dans le capital humain ? Par rapport à la marque ? Ou de nouveaux équipements ?
Prenez un instant pour comparer cet investissement à celui que vous consacrez à votre marque, vos nouveaux équipements ou vos systèmes. Si ces actifs sont indispensables au succès de votre organisation, il est essentiel de se rappeler que le moteur de leur performance réside dans les personnes qui les font vivre.
Avec quelle facilité vous avez décidé d’investir dans vos actifs (un ROI souvent vendu comme certain), et à quel point vous rechignez à augmenter le « budget formation » (on voit ce que ça nous coûte et moins immédiatement ce que ça nous rapporte). Une entreprise prospère est celle qui investit judicieusement dans l’ensemble de ses actifs, et le capital humain ne fait pas exception.
Le capital humain se développe en profondeur avec une culture apprenante
Toute organisation lean repose sur une culture apprenante, c’est-à-dire une culture qui favorise le partage des connaissances, et qui cherche à développer chaque jour ses équipes. C’est une culture où les problèmes sont perçus comme des opportunités d’apprentissage. La résolution profonde des problèmes du quotidien amène chacun à mieux apprécier son geste, son environnement, ses systèmes ainsi que les particularités de chaque client. Cela conduit à une amélioration de la qualité du travail, de sa rapidité et par conséquent des coûts. C’est le vecteur principal de l’augmentation de la productivité globale de l’entreprise.
Le team leader, pierre angulaire de la culture apprenante
Chez Aramisauto, nous avons appris avec le temps que la diffusion de cette culture apprenante se matérialise par les team leaders qui animent nos équipes sur le terrain. Selon l’adage, la culture mange la stratégie au petit-déjeuner, peu importe les choix stratégiques que l’on fait, si la culture vécue sur la ligne de front n’est pas apprenante, il n’y aura pas d’amélioration. Nous avons donc dû apprendre, équipe par équipe, team leader par team leader, quelle culture de résolution de problèmes quotidienne ils véhiculent, comment les identifier et ce qui fait un “bon” team leader.
Et pour commencer, qu’est-ce qu’un team leader ?
Nous avons de nombreuses idées fausses sur ce qu’est un team leader, et il est difficile de les sortir de nos modèles mentaux. Un team leader, dans une organisation lean, n’est pas un relais hiérarchique. Ce n’est pas un “manager”, mis en place pour contrôler les équipes, et simplifier la vie de son supérieur en gérant la descente d’instructions et la remontée de KPI. Il exerce, certes, un leadership naturel, par sa légitimité technique, sa capacité à fédérer, et sa volonté d’aider l’équipe à progresser ensemble. Cependant il n’est pas responsable de planifier la production mensuelle, gérer l’administratif, exercer l’autorité, se coordonner avec les autres équipes ou encore structurer le plan de carrière de chacun.
Il maintient un environnement de confiance et de sécurité : le team leader veille à créer un climat où chaque membre de l’équipe se sent en confiance pour parler librement des problèmes qu’il rencontre, pour proposer des suggestions ou signaler des anomalies.
Il écoute pour comprendre et aider : un bon team leader est avant tout quelqu’un qui s’intéresse à chaque individu de son équipe. Il prend le temps pour échanger avec ses collègues pour comprendre les problématiques spécifiques de chacun des membres de l’équipe, qu’il s’agisse de défis personnels ou professionnels. Cette écoute attentive lui permet de jouer notamment un rôle de pont entre le manager et le collaborateur, en traduisant les difficultés des uns et des autres. Cela s’entraîne notamment par l’animation du 5S.
Il forme pour garantir la sécurité et la qualité : il est le principal contributeur à la maîtrise des standards au sein de l’équipe. Il forme ses membres aux critères indispensables à la qualité du produit délivré aux clients et aux gestes techniques connus. Cela s’entraîne par de la résolution de problème quotidienne simple (« 220 opportunités d’apprendre par an ») et la formation au standard façon TWI.
Il anime l’innovation en équipe pour améliorer les standards : le team leader ne se contente pas de former aux standards existants, il amène l’équipe à réfléchir, innover et améliorer constamment les gestes techniques. Il facilite les discussions, stimule la créativité collective et soutient les suggestions qui permettent de rendre le travail plus facile et plus efficace. Cela passe par l’animation de kaizen d’équipe.
Il soutient les collaborateurs dans les moments difficiles : il contribue activement à la production quand le besoin s’en fait sentir (absence imprévue, augmentation ponctuelle d’activité…) pour permettre à l’équipe de répondre à la demande client en temps et heure et éviter la surcharge de travail pour chacun.
En tant que dirigeant, comment les trouver ?
En tant que CEO, la priorité lors des gemba walks n’est pas de voir si les équipes délivrent le résultat en ce moment (approche ROI). Il s’agit de construire le capital humain de demain en trouvant et soutenant toujours plus de team leaders qui nous donnent cette culture. Par définition, le team leader est déjà dans l’équipe car il connaît le métier. Il sait précisément ce qui compte pour la qualité et connaît chaque individu de l’équipe.
Ce sont ceux qui, sans qu’on ne leur demande, s’approprient leur environnement de travail, identifient ce qui pourrait être amélioré et discutent des anomalies pour que chacun puisse agir dessus. Ils perçoivent leur lieu de travail comme un espace qu’ils peuvent faire évoluer, non seulement pour leur propre bénéfice, mais pour celui de toute l’équipe.
Ce sont aussi ceux que tout le monde, instinctivement, vient consulter en cas de doute sur la qualité ou tout autre problème, plutôt que le manager. Leur expertise, leur capacité à transmettre ou simplement leur écoute attentive leur confèrent une autorité naturelle. Ils ne détiennent pas forcément un titre officiel, mais leur rôle informel en fait des piliers de l’équipe, des figures de confiance et de stabilité. Ils sont élus par l’équipe avant même d’évoluer.
Enfin, ce sont ceux qui, dans les moments de tension ou de fatigue, prennent soin du collectif avec des gestes simples mais puissants : offrir une pizza après une journée éprouvante, écouter un collègue qui traverse une période difficile, ou simplement rappeler à chacun pourquoi l’effort collectif vaut la peine.
Attention aux apparences parfois trompeuses. Le team leader en devenir n’est pas forcément le collaborateur qui s’exprime beaucoup à l’oral. Il lui arrive souvent d’être celui qui râle parce que la qualité n’est pas au rendez-vous, ou parce que la maintenance des outils et systèmes n’est pas faite correctement. Ce n’est pas forcément celui qui donne le résultat à court terme en travaillant plus fort, mais peut être celui qui, plus silencieusement, forme les autres pour le long terme et facilite la vie de chacun
Est-ce alors si évident d’identifier et soutenir des team leaders ?
Oui et non. D’un côté, il n’y a rien de sorcier à développer ce rôle sur le papier : trouver une personne expérimentée, ne pas lui confier de responsabilité hiérarchique, lui demander d’aider 6-8 collaborateurs au quotidien… Mais d’un autre, nos modèles mentaux nous ramènent toujours à ce que nous connaissons, un « manager ». Il semble plus facile de définir ce rôle, de l’expliquer en interne et il représente clairement dans l’imaginaire collectif une étape attendue dans le développement d’une carrière.
Nous voyons régulièrement dans nos équipes cette confusion des genres, initiée tant par le manager qui veut se simplifier la vie (ne pas manager hiérarchiquement en direct trop de personnes) que par le team leader qui se projette dans un rôle classique, connu.
Dans notre centre d’appels, des team leaders avaient bien été nommés mais leur quotidien est rapidement devenu celui d’un « manager » :
● gestion globale d’une équipe plutôt que d’un collectif réduit qu’on connaît individuellement, ce qui les déroute (« sur qui je peux compter si j’ai besoin d’aide ? ») ;
● animation schizophrène entre la production (« prenez plus d’appels, des clients attendent ») et qualité du geste (« prends plus de temps pour bien faire »), ce qui crée de l’incompréhension ;
● injonctions contradictoires : « sois proche d’eux en temps réel » et « éloigne-toi en salle pour les débriefs, les entretiens, la double écoute… », ce qui fait dysfonctionner la chaîne d’aide.
Le résultat : une confiance qui s’érode, des collaborateurs qui n’osent pas lever la main et des team leaders mis dans une situation impossible.
Pour sortir de ce schéma, il faut avoir le courage de lâcher prise et d’avoir confiance que si de vrais team leaders sont en place, beaucoup d’autres problèmes se résoudront par eux mêmes. Au quotidien, l’équipe apprend plus vite ce qui compte pour la qualité, et est soutenue dès l’apparition d’un problème. La remontée des difficultés intervient bien plus tôt, ce qui évite des situations qui empirent et sont habituellement gérés tardivement et dans la douleur.
Dans notre centre d’appels, pour rétablir la situation voulue, la responsable du département a procédé par étape. Elle a commencé par identifier 1 ”vrai” team leader, issu du terrain, dans 1 équipe, et a clarifié avec lui ce que signifiait ce rôle. Nous n’avons pas fait une grande réorganisation, en nommant 3 personnes, en définissant les rôles et en mettant des objectifs de résultats. Après avoir appris comment bien le faire sur une équipe, elle l’a testé sur l’équipe suivante, et ainsi de suite.
Cette mise en œuvre a illustré le besoin d’un accompagnement progressif et de clarté dans les compétences implicites au poste pour éviter de réduire leur rôle à une simple supervision, et l’importance de développer des compétences relationnelles solides pour garantir la remontée des problèmes. Le résultat : un meilleur engagement des équipes et une qualité de réponse qui s’améliore pour nos clients.
Une autre façon de préparer demain
En tant que dirigeant, comme n’importe quel collaborateur de l’entreprise, l’apprentissage continu est nécessaire. Apprendre à focaliser son attention sur les conditions d’équipe et le développement du capital humain demande un effort délibéré de lâcher prise pour travailler sur le temps long. Il est plus simple et confortable de se concentrer sur l’obtention à court terme des résultats.
Se concentrer sur les team leaders de l’entreprise amène à se poser des questions nouvelles : qui sont-ils ? Aujourd’hui ? Demain ? Quel écart entre la culture que nous souhaitons diffuser et la culture exercée sur le terrain ? Comment les aider ? Les développer ?
Cette approche devrait nous amener in fine à arbitrer notre temps et nos investissements très différemment.
Cyril Gras – Romain Boscher
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